Daniel Gloger, La Renaissance et l'époque baroque font la part belle à la voix de contre ténor. Qu'en est-il aujourd'hui?
Presque tous les compositeurs contemporains s'intéressent à la voix de contre-ténor, l'opéra l'utilise largement. Et diversement. Dans «Les trois s?urs» de Peter Eötvös par exemple, tous les rôles de femmes sont tenus par des contre-ténors. Le compositeur voulait qu'on perçoive ces personnages un peu comme des âmes, des êtres asexués. Le contre-ténor peut aussi se glisser dans des rôles d'hommes jeunes, qui n'ont pas encore toute la force virile, ou d'hommes peu agressifs, tel que Moctezuma, un chef inca opposé à la guerre, que je vais interpréter. Dans «Fabula», je suis juste un narrateur qui prête sa voix aux différents personnages, masculins et féminins, et donc je chante aussi avec ma voix de baryton. L'utilisation de ces deux registres peut permettre d'interpréter des pièces proches de la schizophrénie, comme le cycle de chants de Heinz Holliger, d'après des poèmes de Robert Walser.
Dans «Fabula» justement, une pièce écrite pour vous, la virtuosité l'emporte-t-elle sur l'émotion?
Non, la virtuosité n'agit pas contre l'histoire, mais c'est l'histoire elle-même qui engendre la virtuosité. Dicté par les personnages, le passage d'une voix à l'autre est logique. Les émotions restent importantes dans cette pièce, même si, aujourd'hui, on cherche d'autres approches, moins directes. En philosophie, le constructivisme suggère que chacun construit son propre monde. C'est la même chose dans la musique, le monde dépend du spectateur.
Vous vous exprimez dans un répertoire qui s'étend du 14e siècle à nos jours. Avez-vous tout de même une période de prédilection?
J'aime avant tout beaucoup chanter, et j'apprécie les compositeurs qui aiment la voix, qui sont attentifs au fait que ce n'est pas seulement un instrument, ou une machine. Strasnoy ou Berio sont de ceux-là, ils exigent un chanteur, et pas seulement un homme avec une voix. Dans la musique ancienne, je trouve qu'il est agréable pour un contre-ténor de travailler avec les instruments historiques, tels que le luth. J'aime beaucoup le répertoire, et il est vaste, des chansons allemandes, anglaises et même françaises, j'aime cette musique de chambre, les ?uvres du début du baroque, parce qu'il ne faut pas chanter en force; on peut vraiment chercher des couleurs.
Le répertoire contemporain exige-t-il plus de travail?
Il y a une grande pluralité dans les sonorités, les rythmes, il faut trouver à chaque fois l'esthétique personnelle du compositeur. Et il faut chercher les notes, c'est un problème. Dans la musique ancienne, on commence à travailler quand les notes sont justes. Dans la musique contemporaine, on arrête de travailler quand les notes sont justes. Ce n'est pas une bonne idée, moi j'essaie vraiment de comprendre la pièce en profondeur. Mais il n'y a pas de technique propre à la musique contemporaine. Il faut parfois y trouver des bruits spéciaux, mais la technique fondamentale du corps reste la même. Pour moi, soit le chant est juste soit il est faux! /DBO
La Chaux-de-Fonds, ABC, rencontre-apéritif avec Daniel Gogler, samedi à 11h; «Fabula», café du Petit Paris, dimanche à 17h (réservation indispensable au 032 964 11 84)