Surmontant sa honte, Manon raconte comment Louis* l'a contrainte à des pratiques sexuelles, avec force gestes appuyés certes, mais sans qu'il la frappe, sans qu'elle crie ni se débatte. «Non, s'il te plaît», a-t-elle simplement répété, entre deux sanglots, pendant toute l'heure qu'a duré son calvaire.
«J'étais tétanisée. Il est très costaud. Il ne m'a pas fait de mal, mais il n'en a pas eu besoin pour me faire peur. Mon corps ne répondait plus. Seule ma tête fonctionnait. C'est pour cela que j'ai eu l'idée de lui demander de mettre un préservatif. Je me suis dit: s'il n'en a pas, j'ai peut-être une chance...»
Un viol qualifié de «simple» par le tribunal, soit sans violence physique ni menaces. «Aux conséquences peut-être encore plus graves, a souligné le procureur Yanis Callandret. Dans le cadre d'un viol «obtenu», on n'est pas loin de la réalisation de la cruauté.»
Louis, le solide gaillard assis à gauche de Manon, se tortille sur sa chaise. «Ça m'énerve un peu d'être là...», confirme-t-il. De ce soir où, parti de Cudrefin, il a demandé à un copain de le conduire à La Chaux-de-Fonds, il n'a que «de très vagues souvenirs», mais se souvient qu'il était décidé à dormir chez Manon. «Dormir?», interroge le président. «Et avoir quelque chose de plus», admet-il. «J'ai bien vu qu'elle pleurait mais j'ai pensé que c'était à cause de son ex-petit ami. C'est vrai qu'elle n'avait pas l'air bien. Elle n'était peut-être pas consentante. Mais une fille qui accepte de discuter à deux heures du matin...», finit-il par lâcher. «C'est déjà bizarre...», renchérit son père, venu dresser un portrait flatteur du fiston: travailleur infatigable, bon randonneur. Louis aime la nature et son grand-papa. C'est un bon gars. «Et sain.» La preuve: «Il est antifumeurs de joints», plaide le père. Louis pensait faire une carrière militaire. «On était fier de lui.» Oui mais voilà. Un mois à peine avant le viol de Manon, il se faisait virer, déjà «pour avoir taquiné des filles. Le grand-papa, il en a pris un coup, là».
Les filles en question, recrues féminines croisées à Brugg, ont, elles aussi, déposé plainte. Et raconté comment Louis avait déboulé au milieu de la nuit dans leur dortoir, leur ordonnant de le rejoindre dans sa chambre en vue d'obtenir une relation sexuelle. Louis ne conteste pas «avoir tenté [sa] chance. Elles m'ont dit non. Et même que j'étais sergent... Et même que j'avais des pouvoirs... Et j'ai très bien compris».
Devant le groupe, Louis renonce à obtenir des faveurs sexuelles. Mais seul avec Manon, c'est différent. «Peu lui importait de savoir si sa résistance avait été brisée», relèvera le suppléant du procureur. Or, non, c'est non, peu importe le ton et le niveau de décibels. Yanis Callandret a demandé que le prévenu soit condamné à trois ans de réclusion, son jeune âge au moment des faits - 19 ans - constituant une circonstance atténuante.
En regard du traumatisme subi par Manon, le tribunal a condamné Louis à lui verser une indemnité de dépens de 5000 francs ainsi qu'au paiement des frais de justice et médicaux. Retenant la contrainte sexuelle et le viol, «au vu des déclarations du prévenu lui-même», le tribunal l'a condamné à deux ans de prison ferme. Les gendarmes l'ont menotté sur le champ devant son père, incrédule, qui répétait «T'es foutu! T'es foutu! Ta vie, elle est foutue!» «Merci», a chuchoté quant à elle la frêle Manon, à l'oreille de son avocate. /SYB
*Prénoms fictif