Assise à la table d'un café neuchâtelois, Nadia*, souriante, a tout d'une jeune femme épanouie. Mais les apparences sont trompeuses. Endettée à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de francs, elle paie aujourd'hui le prix de ses «erreurs de jeunesse».
L'origine de sa frénésie consumériste, Nadia l'attribue à des carences familiales, à un père qui trop tôt l'abandonne. Un manque d'amour qu'elle comblera par la générosité. «Je voulais être comme tout le monde. Qu'on m'aime. Je me souviens qu'à l'école primaire, j'ai donné cinq francs à des garçons pour qu'ils m'apprécient.»
Les premiers problèmes surgissent à l'adolescence. Son salaire d'apprentie ne lui permet pas d'assurer son train de vie. «J'ai cédé aux cartes clients des grands magasins, un piège qui permet de dépenser à crédit jusqu'à 7000 francs.» Nadia achète, frénétiquement. «Quand j'entrais dans un magasin, j'étais presque en transe.»
Une fois adulte, son comportement ne change pas. Les dettes s'accumulent. Nadia n'en parle pas à sa famille. Elle fait appel à une société de recouvrement. «Je suis allée la chercher le plus loin possible, dans le canton de Vaud, là où on ne me connaissait pas.» Mais les mensualités sont trop élevées. Elle n'a plus de quoi vivre décemment. On lui retourne ses factures, augmentées des intérêts: 40.000 francs.
Par petites annonces, elle demande un soutien. On lui propose de l'aider contre faveurs sexuelles. «Pourtant, l'annonce ne figurait pas dans la rubrique érotique!» Proie facile, une secte tente également de l'embrigader.
S'ensuit une saisie sur salaire. L'Office des poursuites ne lui laisse que le minimum vital. C'est la règle. Fini les loisirs. «Une catastrophe sur le plan psychologique. Le plus dur, c'est de mentir aux personnes que l'on aime. On fait la fille superoccupée qui n'a pas le temps de sortir, alors qu'on passe ses soirées devant la télé!»
Dans la gêne, elle s'approche des services sociaux. Sans résultat. «Ils ne peuvent rien faire pour moi, mon salaire est trop élevé!» Seule solution pour gagner davantage: cumuler les emplois. Elle se résout même à travailler dans un salon. «Je suis allée au-delà de moi-même», confie-t-elle en relatant cette pénible expérience. «Il y a quelques semaines, je ne voulais plus être là!» Phrase lourde de sous-entendus.
Mais Nadia est positive et surmonte l'épreuve. Avec humour. «Tout le monde râle quand il faut payer ses impôts, moi, je rêve de les payer!» Elle ne manque toutefois pas de souligner les lacunes du système. Assimilant son consumérisme à une maladie, elle déplore l'absence d'un encadrement administratif serré et d'un soutien psychologique. «Dans pareille situation, certains finiraient alcooliques ou drogués. Je comprends que des gens lâchent prise, c'est plus facile.» Lorsqu'on est endetté, la remise en question est permanente. «On se demande à quoi on sert.»
Nadia a depuis lors décidé de tomber le masque. Elle en parle à sa famille, prend contact avec des personnes dans une situation similaire. «Il y en a de plus en plus», confie-t-elle.
L'avenir? «J'accepte ce qui se passe. Je suis consciente que je ne peux pas m'en sortir du jour au lendemain, mais je me suis fixé des objectifs et j'ai envie de les atteindre. Fonder une famille, avoir des enfants.» Une note d'espoir dans une partition aux tonalités mineures. / DJY
* Prénom d'emprunt