Dans son coup de gueule, il explique ce paradoxe: la Loro est prospère - 182 millions de francs de bénéfice en 2005 -, mais menacée. Dans une courte présentation, il rappelle l'historique des jeux de hasard et la naissance de l'alliance des cantons romands. L'an prochain, la Loro fêtera ses 70 ans, son président ses 60. «Les hommes passent, je souhaite que la Loro survive», résume l'ancien ministre jurassien au téléphone. Pour lui, le moment clé se situe le 24 octobre 2001. «C'est un tournant dans la politique en matière de loteries. Jusque-là, il était admis qu'elles étaient d'utilité publique». Le Conseil fédéral opte pour des concessionnaires de casinos privés. Ecartant la proposition de la Loterie romande qui reversait ses profits.
Finalement, n'est-ce pas la victoire d'un lobby sur un autre? «Les casinos privés comptent des parlementaires au sein de leur conseil d'administration. Nous avons des sympathisants, mais ils ne hantent pas les couloirs du Palais fédéral!» Il se félicite de «l'éviction» de Ruth Metzler du gouvernement et attaque la Commission fédérale des maisons de jeu et l'Office fédéral de la justice, qui s'en prennent aux loteries. «Il y a un conflit de compétence en matière de surveillance entre les cantons et ces offices fédéraux. Et non pas entre la Confédération et les cantons», explique Jean-Pierre Beuret. Oui, c'est un problème politique majeur, martèle-t-il.
Les loteries qui fleurissent sur internet le fâchent également. «Ce sont des opérateurs obscurs, basés dans des paradis fiscaux, qui organisent des loteries illégales en Suisse, s'insurge le président. Or, la Confédération ne lève pas le petit doigt». Toujours pour contrer les initiatives privées, la Loro réfléchit à une loterie sportive avec d'autres pays. A l'image de l'Euro Millions, qui «a donné une bouffée d'oxygène» à la Loro.
Pour justifier le statu quo, Jean-Pierre Beuret avance des estimations. Dans le canton de Neuchâtel, comme dans le Jura, la Loterie romande verse 1,3 fois plus que les subventions cantonales pour la promotion de la culture. En Valais, cette manne représente même quatre fois celle de l'Etat, deux fois à Fribourg. Dans son ouvrage, il donne un exemple concret par canton. La rénovation du théâtre de L'Heure bleue, à La Chaux-de-Fonds, en fait partie. «C'est une réalisation prestigieuse, mais elle ne doit pas masquer les milliers de petits projets que nous soutenons». Il tient aussi à rendre hommage aux membres de la direction qui, ces dix dernières années, «se sont battus contre la bureaucratie fédérale». Il n'aime pas trop l'expression «coup de gueule», «mais je parle clair, les termes sont choisis, parfois colorés». Un ouvrage peut-être alarmiste, mais face aux casinos privés et la pression qu'ils exercent pour casser les statuts des loteries d'utilité publique, le ton se devait d'être ferme. / JLW
«Le premier mécène romand en péril», collection Le Savoir suisse, éditions Presses polytechniques et universitaires romandes