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La force d'Alexandre

Infirme moteur cérébral, Alexandre Jollien ne s'est pas résigné à la fatalité. Son «Eloge de la faiblesse» se fait aussi entendre sur scène, via la compagnie du Passage René Gonzalez a lu «Eloge de la faiblesse» après avoir entendu Alexandre Jollien en parler à la radio. Un visage et une voix s'imposent alors au directeur du théâtre de Vidy Lausanne: ceux de Robert Bouvier, qu'il a envie de voir jouer ce texte sur scène. Ainsi amorcée, la troisième création du théâtre du Passage, à Neuchâtel, transmet aujourd'hui à un large public cette «grande déclaration d'amour au vivant» qu'Alexandre Jollien a rédigée à 23 ans. Infirme moteur cérébral depuis sa naissance, le Valaisan ne s'est pas résigné à la fatalité. Il passe 17 ans dans une institution spécialisée, puis poursuit ce qu'il nomme son combat joyeux à l'école de commerce et à l'Université de Fribourg. Interpellé par le «Connais-toi toi-même» de Socrate, Alexandre Jollien a fait de la philosophie son chemin de vie. Double théâtral d'Alexandre, le directeur du Passage et comédien Robert Bouvier évoque cette pièce qui est aussi un «moment d'humanité», à partager à La Chaux-de-Fonds puis à Neuchâtel.

06 févr. 2006, 12:00

Comment la philosophie, réputée abstraite, passe-t-elle sur une scène de théâtre?

Robert Bouvier: L'amour d'Alexandre Jollien pour la philosophie n'a rien d'abstrait, il est né de son vécu. Ses lectures l'ont aidé à donner sens à la réalité. Il s'est battu pour être intégré et pour étudier. Il n'est pas sûr de croire au bonheur, mais il croit en la joie. Or celle-ci ne tombe pas du ciel, elle naît d'une méditation, d'une expérience de la vie, du regard que l'on pose sur les autres. On sent que cet homme ne triche pas, qu'il a expérimenté chaque précepte philosophique qu'il donne. En même temps, ce texte fournit toute une réflexion sur l'éducation, les institutions, le travail des éducateurs, des choses concrètes elles aussi.

Comment avez-vous abordé l'interprétation du handicap?

R. B.: J'avais une grande pudeur par rapport au handicap, peut-être parce qu'ici le personnage est vivant et que je sais tout ce qu'il a traversé. Je me suis demandé: de quel droit vais-je incarner cette parole? Mais le travail avec le metteur en scène a permis de transposer cela de manière poétique, théâtrale. On a inventé une gestuelle, une façon de parler qui est presque un chant. Charles Tordjman sait que tout le monde a un regard un peu voyeur sur Alexandre. Alors, au début de la pièce, il le dissimule; on devine qu'il est handicapé mais on n'en sait pas davantage. Puis, plus il parle et plus on oublie son handicap. Alexandre ne voulait pas d'une performance d'acteur qui aurait fait son numéro en l'imitant. C'était là sa seule réserve. C'est en allant chercher dans ma propre vulnérabilité, ma gaucherie, mon authenticité que je pouvais faire entendre sa parole.

Le texte a-t-il été adapté?

R. B.: Non, nous n'avons rien modifié, juste procédé à des coupures. La parole de Socrate est rationnelle, celle d'Alexandre plus émotionnelle. On a tiré profit du côté non littéraire du texte; Alexandre a lâché ces mots comme un cri du coeur. C'est parfois heurté, il y a parfois des répétitions. Ce qui peut d'abord apparaître comme une faiblesse recèle en fait une beauté. Il ne fallait pas tomber dans la banalité ou le naturalisme car ces mots viennent de loin.

Alexandre dialogue avec Socrate. Ce dernier reste-t-il en retrait?

R. B.: Non, au contraire, il est mis à l'avant-plan. Socrate est comme le double d'Alexandre puisque c'est lui qui l'invente. Nous avons opté pour un Socrate dans la quarantaine, et choisi un comédien (réd: Yves Jenny) qui puisse être comme le prolongement de mon corps. Socrate se déplace avec beaucoup de souplesse, il est pareil à la pensée en mouvement qui va s'infiltrer dans les failles, dans tous les interstices du décor. Le décor est très beau, on ne sait pas si c'est un cerveau, ou un hôpital, ou une sorte de caverne de Platon. Et on ne sait pas qui appelle qui, qui naît de l'imagination de qui, qui est normal ou anormal puisque les rôles finissent par s'inverser. L'interprétation de cette «anormalité» reste ouverte: on peut penser à toutes les différences, à toutes les mises à l'écart qui peuvent exister, racisme, pauvreté, vieillesse... / DBO

La Chaux-de-Fonds, Théâtre populaire romand, mardi 7 et mercredi 8 février à 20h30. Neuchâtel, théâtre du Passage, du 16 au 25 février à 20h, dimanche à 17h; relâche lundi

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