Au téléphone, Regula Bühlmann reste déterminée, mais se montre plutôt lucide. «Depuis la grande grève du 14 juin 2019, il n’y a pas vraiment eu de points positifs à relever pour les femmes», soupire la secrétaire centrale de l’Union syndicale suisse (USS).

Vrai qu’à la suite des manifestations historiques de 500 000 personnes à travers le pays, le parlement s’est féminisé. Vrai aussi que les esprits ont évolué et les femmes ont largement gagné en visibilité politique et médiatique (voir ci-dessous). Mais concrètement, les progrès sont plutôt maigres, constatent les syndicats. Ils appellent à une nouvelle grève cet été (voir ci-dessous).

Ce n’est pas tout à fait juste, rétorque l’association faîtière des organisations féminines, Alliance F. Pour elle, l’élan de ces dernières années a permis de trouver des majorités sous la Coupole «et cela grâce à des femmes de droite qui se sont parfois opposées à leur parti», plaide Claudine Esseiva, membre du comité d’Alliance F, députée PLR à Berne et coprésidente de BPW Switzerland.

Reste que dans le monde du travail, une donnée concentre toutes les déceptions: en matière d’inégalités salariales entre hommes et femmes, aucune amélioration notable n’a été enregistrée.

En moyenne en 2020, les femmes gagnaient 18% de moins. Si ce chiffre est un léger recul, un autre est source de désespoir: la part inexpliquée de cette différence, celle potentiellement discriminatoire, s’est agrandie à près de 48%.

Vague violette à Berne

En quatre ans et à huit mois des élections fédérales, l’effet direct le plus spectaculaire de la grève de 2019 fut la vague dite violette, qui a déferlé sur Berne. Au Conseil national, la part de femmes élues est passée de 32% à 42%.

Au Conseil des Etats, de 15% à 26% (28% aujourd’hui). La tendance pourrait se maintenir cet automne si l’on en croit les résultats des élections zurichoises de dimanche (de 41% à 44% de femmes au Grand Conseil), qui donnent traditionnellement une tendance en vue des élections fédérales.

«Ce sont de belles améliorations, mais elles ne suffisent pas», nuance Regula Bühlmann. «Au Palais fédéral, ce sont toujours des majorités masculines ou des majorités bourgeoises qui décident, et c’est souvent en défaveur des femmes.»

Cette année, Alliance F poursuit, elle, sa campagne «Helvetia vous appelle», dont l’objectif est de motiver les femmes à se lancer en politique. «Le plus important est d’augmenter la proportion de femmes au Conseil des Etats», assure Claudine Esseiva. C’est en effet dans la «petite chambre» que se heurtent de nombreux chantiers de l’égalité.

Depuis 2019, le Conseil fédéral a quand même entrepris des changements, sous l’impulsion de Viola Amherd et Simonetta Sommaruga.

Par exemple, il a fixé un objectif de 40% au moins de représentation dans les organes dirigeants des organisations sportives. Il a toutefois renoncé aux quotas. En 2021, il a aussi demandé que les conseils d’administration (30%) et les directions (20%) des grandes sociétés cotées en Bourse sises en Suisse comprennent un minimum de femmes.

Consentement dans le domaine du viol

Autre dossier aussi sensible que symbolique, la modernisation de la redéfinition du viol dans le Code pénal. L’ampleur de la modification fait débat, mais la solution qui se dessine au parlement demeure une véritable avancée juridique et sociétale.

Bientôt, toute pénétration non consentie, qu’elle soit orale, vaginale ou anale, effectuée sur un homme ou une femme devra être considérée comme un viol.

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Sous la Coupole, le Conseil des Etats est en passe d’imposer la solution du «non est un non», contre l’avis du National. Ce dernier, ainsi que 10 des 13 sénatrices élues à Berne, voulait aller plus loin avec la version dite du consentement, où «seul un oui est un oui».

Défaite sur le front des retraites

Face à la population, la révision de l’AVS et son relèvement de l’âge de départ à la retraite pour les femmes à 65 ans sont la plus grande défaite de ces dernières années. Acceptée de justesse en septembre, elle a été refusée par 62% des femmes, ce qui représente le plus grand fossé politique entre hommes et femmes jamais mesuré.

«C’est la grande catastrophe de la législature», se désole Regula Bühlmann. Pour elle, le cauchemar se poursuit avec les discussions aux Chambres sur la révision du 2e pilier (LPP). «Pour le moment, la révision n’apporte rien aux femmes, alors que c’est là que les grandes différences de revenus sont constatées», tonne-t-elle.

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A l’USS, on a d’ores et déjà annoncé un référendum, ce qui fait bondir Alliance F. «Pour le moment, il est très important que les déductions soient adaptées. Avec le 2e pilier actuellement, le risque de pauvreté pour les femmes est trop élevé», explique Claudine Esseiva. «Mais il faut trouver des solutions et non pas lancer des référendums», soupire-t-elle.

D’autres avancées à relever

Pour Alliance F, l’organisation d’une session des femmes à l’occasion du 50e anniversaire du vote sur le suffrage féminin a permis des avancées concrètes. Lors de cet événement organisé dans la salle du Conseil national, des pétitions ont été adoptées «et 23 d’entre elles ont été transformées en objet parlementaire», se réjouit Claudine Esseiva. On y parle de prévoyance professionnelle, de médecine du genre, du care, de financement des crèches, etc.

Autres petites victoires, le taux de TVA réduit pour les produits d’hygiène féminine (à confirmer au Conseil des Etats) ou l’introduction d’un congé de paternité de deux semaines en Suisse depuis le 1er janvier 2021, qui apporte un soutien bienvenu aux femmes.

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Pour beaucoup, deux semaines c’est peu et c’est vers un modèle de congé parental qu’il faut se diriger désormais. «Mais nous souhaitons attendre les fédérales pour ne pas que le sujet devienne partisan», analyse Claudine Esseiva. Enfin, le «oui» à l’initiative pour des soins infirmiers forts en novembre 2021 a été très bien accueilli. C’est en effet un corps de métier composé à large majorité de femmes.

Guillaume Chillier, La Liberté

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