L'amour est enfin aimé

Avec «Lady Chatterley», la cinéaste Pascale Ferran a mis en scène de façon extraordinaire ce qu'elle qualifie elle-même d'«utopie relationnelle». Quand le corps se réconcilie avec l'esprit! Présenté dans le cadre du cycle de Passion Cinéma consacré aux films de femmes, «Lady Chatterley» a failli ne jamais voir le jour. Pascale Ferran a essuyé mille refus, avant d'être sauvée in extremis par Arte. Et les cinq Césars qui ont permis à ce chef-d'?uvre de connaître une seconde carrière n'empêcheront peut-être pas la mise en faillite de la société de Gilles Sandoz, producteur courageux s'il en est, mise en faillite qui atteste de la crise gravissime que connaît actuellement le cinéma d'auteur en France?

20 avr. 2007, 12:00

Mais revenons plutôt au film dont la luminosité fabuleuse tranche sur la sinistrose ambiante. Avant d'obtenir la reconnaissance trop tardive de la profession, Pascale Ferran n'était guère connue du grand public. En 1994, la réalisatrice française avait déjà pourtant remporté avec «Petits arrangements avec les morts» la Caméra d'or que le Festival de Cannes décerne chaque année au meilleur premier long métrage, toutes sections confondues. Après «L'âge des possibles», un téléfilm tourné à la lisière du documentaire et de la fiction, portant sur les apprentis comédiens du Théâtre national de Strasbourg, Ferran est restée près de dix ans sans tourner, mais à s'évertuer contre des producteurs effrayés par son exigence!

Grâce à l'impavide Gilles Sandoz, la cinéaste est parvenue à concrétiser l'un de ses nombreux projets, l'adaptation de «Lady Chatterley et l'homme des bois», deuxième version de «L'amant de Lady Chatterley» que l'écrivain anglais D. H. Lawrence rédigea en 1927, moins de trois ans avant sa mort?

Constance (Marina Hands) est mariée à Clifford (Hippolyte Girardot), un Anglais de bonne et vieille famille, à demi paralysé depuis la Grande Guerre. Propriétaire oisif de mines de charbon, Clifford a des rêves d'écriture, mais passe son temps à débattre d'idées très intellectuelles avec son cercle d'amis. Spectatrice muette de ces discussions plutôt vaines, contrainte de dissimuler sans cesse son intelligence pour plaire à son mari, Constance sent grandir en elle un vide qu'elle ne parvient pas à s'expliquer. Un jour, elle quitte le château, franchit la barrière du jardin, s'enfonce dans la nature et rencontre ainsi Parkin (Jean-Louis Coulloc'h), le garde-chasse du domaine de son mari. Malgré ou à cause de la différence de classe, ces deux âmes solitaires vont nouer une relation qui va leur redonner toute la grâce qui les fuyait?

Résumé ainsi, le film dit très mal le mystère qui en fait l'une des ?uvres cinématographiques les plus fascinantes de la décennie. De fait, les mots se révèlent impuissants à traduire la sensation de bonheur et de beauté que peut éprouver le spectateur qui n'endure en rien la durée exceptionnelle du film (2h48). Une part de la solution de cet effet perceptif prodigieux réside sans doute dans la phrase de Lawrence qui a déclaré à propos de son livre «scandaleux», «qu'il n'avait pas écrit un roman de sexe». Malgré six scènes d'amour physique d'une amplitude inouïe, Ferran est parvenue à respecter à la lettre la volonté de l'écrivain, filmant non pas l'acte pour lui-même (la pornographie), mais dans l'affirmation souveraine de la vie qu'il dévoile. / VAD

Neuchâtel, Apollo 3; La Chaux-de-Fonds, Scala 3; 2h48