Luxe et motards quantiques

Les goûts éclectiques du Neuchâtelois Marc-Olivier Wahler émerveillent Paris. Les grandes salles d'exposition du Palais de Tokyo se jouent de l'espace et du temps. Visite Les barbus semblent veiller sur le Palais de Tokyo, à Paris. Mais pas la trace d'un poil sur le visage fraîchement rasé de Marc-Olivier Wahler, hier à l'heure du lunch. Le Neuchâtelois, directeur du Palais de Tokyo, semble affûté au biseau, comme l'est la magnifique exposition qu'il présente jusqu'au 31 décembre. Une mise en forme maniaque qui tranche avec le style «chantier» de ses prédécesseurs, Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud. Depuis qu'il a révélé jeudi le contenu de l'exposition «5.000.000.000 d'années», cette armée de zéros, acte fondateur de sa programmation, il est omniprésent, particulièrement sur France Culture. L'art selon Marc-Olivier Wahler ne craint ni la nuit, ni la presse, ni la physique quantique, ni un enfant mannequin qui se cogne la tête.

17 sept. 2006, 12:00

Revenons un instant aux barbus, des histrions de l'art au menton aussi fourni que les idées. Un portrait noir et blanc du critique Pierre Restany rappelle son rôle dans l'avant-garde. Il veille en président fascinant. Barbu comme le blé du Val-de-Ruz, Olivier Mosset a été invité par Wahler à intervenir sur les fenêtres, le non-peintre résidant en Arizona a choisi un collage discret de cette citation d'Ellsworth Kelly: «En octobre 1949, au Musée d'art moderne à Paris, je remarquai que les fenêtres m'intéressaient plus que l'art exposé dans les salles.» Jeudi matin, un cerbère garde l'entrée de ce gigantesque centre d'art et expédie nos modestes bicyclettes sur le trottoir d'en face alors que le vernissage du soir propose une performance de minimotos qui marquent l'asphalte avec leurs pneus arrières. On ne lui dira pas qu'à l'intérieur les roues du vélo à l'envers de Jonathan Monk tournent toutes seules.

Le cofondateur du Centre d'art contemporain Neuchâtel (CAN) nous accueille dans un bureau très design, qu'on atteint par des couloirs à l'esthétique post-industrielle. Près de 7000 personnes ont assisté à son vernissage mêlant concours de bûcheronnage et sculptures crachant de la benzine. Les grands bourgeois du 16e et les jeunes graffeurs se sont mélangés. Des débuts sereins pour Marc-Olivier Wahler, qui occupe le poste depuis février 2006 mais présente sa première prise de possession des espaces d'exposition.

Certains ont été surpris par la beauté de la présentation des oeuvres. Vous y êtes particulièrement attentif?

Marc-Olivier Wahler: Il faut rendre le lieu le plus neutre possible, afin de respecter l'oeuvre. Je n'arrive plus à regarder la pièce d'un artiste sans tenir compte de l'espace. Donc il faut éliminer tous les éléments perturbateurs. Je ne veux pas apercevoir la prise d'une installation par exemple.

Les espaces d'exposition du Palais de Tokyo imposent-t-ils certains choix?

M.-O. W.: Ils les dictent. Dans la première salle par exemple, il faut tenir compte de la lumière produite par la verrière, d'un plafond à sept mètres de haut et de la courbe du mur. Donc la peinture murale de Philipe Decrauzat propose une décélération, les tubes en acier de Vincent Lamouroux une accélération et Mark Handforth arrive au gel du temps, avec ses bougies sur une moto.

Votre expérience au Swiss Institute de New York vous a-t-elle influencée?

M.-O. W.: Oui, l'école américaine met beaucoup moins de frontières entre l'art distingué et populaire. Steven Parrino est un maître pour moi dans sa manière de considérer les Hells Angels, la BD et Donald Judd de la même façon. Mais Jacques Hainard aussi m'influence, car il n'arrête pas de casser les théories. J'ai organisé des expositions dans des magasins, des pharmacies, des toilettes. Tout espace peut être attaqué.

Et le public de l'art contemporain se diversifie de plus en plus

M.-O. W.: Au CAN, j'ai appris que le meilleur public était formé par des adolescents ou des personnes âgées. Les premiers parce que leurs références sont les mêmes que celle des artistes: publicité, jeux vidéo, télévision. Les seconds parce qu'ils acceptent de ne rien comprendre. Avec un minimum de curiosité, l'art contemporain est abordable. Il n'y a rien de magique dans notre discipline, tout est très normal. Nous proposons juste de l'hygiène de l'esprit.

Vous parlez souvent de zombies dans de récents entretiens. Une obsession?

M.-O. W.: En fait, je m'intéresse surtout aux mutants car aucun critère ne permet de les différencier des humains. Comme dans «Les envahisseurs» ou «Blade Runner», il faut se fier à son intuition pour les reconnaître. En art, on peut aussi exposer n'importe quel objet ordinaire et créer des étincelles. / ACA