C’est à mon tour de tournoyer. «Fastoche, t’as qu’à me suivre», rassure mon professeur du jour, Philippe, 80 ans. Deux fois mon âge, quatre fois plus alerte, et huit fois meilleur danseur.

Elancés et enlacés, Philippe et moi virevoltons sur un slow. Je crains de lui fracturer le pied. «Regarde pas tes chaussures, regarde-moi», qu’il me dit. Le regard pétillant de plaisir, il encourage à sa façon: «Oui! C’est pas mal. Mais en fait, c’est vraiment pas ça!»

A la peine, je tâche de prendre exemple sur les dizaines de couples qui dansent autour de nous. Des inconditionnels des thés dansants, seniors pour la plupart, venus se dépenser sur la piste d’un restaurant de Neuchâtel. On vient de loin, parfois même du Valais ou de Genève! Ce genre de rendez-vous est devenu rare; à croire qu’il fleure trop le parfum d’antan.

Restaurant Piazza, thés dansants.

Neuchâtel, le 9 avril 2023
Photo: Muriel Antille © MURIEL ANTILLE

Jacky Thomet s'est notamment produit avec Alain Morisod et Gilbert Montagné, ce qui contribue à sa popularité. Photo: Muriel Antille

Les fans de Jacky Thomet

«Nous sommes venus exprès pour les musiciens», explique Marie-Jeanne, 76 ans. «Jacky Thomet et son orchestre, ça n’est pas rien! Ils mettent une ambiance du tonnerre. Nous les suivons partout, même en tournée à l’étranger.»

Appuyée sur une béquille, la Genevoise contemple le spectacle qui s’offre à elle. Danser, elle ne le peut plus vraiment, «ou alors un ou deux pas». Son plaisir à elle, c’est de voir les autres sur la piste.

Assis à ses côtés, Dan, son époux, reste plutôt silencieux. On ne le verra pas une autre partenaire au bras. «Ah non! Il reste avec moi!», tranche net Madame, consciente de la denrée rare qui l’accompagne.

C’est que les hommes se comptent sur les doigts d’une main. Aux thés dansants, on ne vient donc pas dans l’espoir de faire des conquêtes.

Chemise à jabot pour certains, blouson de cuir et créoles pour d’autres. On y va avec un tango. Madame a défait ses longs cheveux, Monsieur l’enserre un peu plus langoureusement.

Parfois, on chante les paroles de chansons italiennes. Parfois encore, on lance des «Iihaa!» pour conclure les refrains de folklore germanique.

Au restaurant Piazza, on danse le dimanche. Photo: Muriel Antille

«Mal réglé, leur truc!»

Philippe, lui, est assis, un index vissé dans chaque oreille. Alors, on ne danse plus? «Trop fort, c’te musique!», qu’il répond, en criant. «C’est mal réglé, leur truc! Je vais aller leur dire, tu viens avec moi?»

Il y a Philippe, il y a aussi Willy qui, lui, invite à tour de bras. Comme presque tous les participants, le fringant septuagénaire a changé de chaussures avant de s’élancer sur la piste. Il a troqué ses baskets de marche contre des mocassins lustrés, la semelle on ne peut plus lisse. On glisse mieux, c’est du meilleur effet.

«Tout est dans la chaussure!», confirme Christine, 65 ans, les chevilles bridées dans des escarpins de premier choix. «Elles doivent être confortables, mais surtout elles doivent glisser!»

Pour ce faire, certains n’hésitent pas se talquer la semelle. «Je l’ai parfois fait, lorsque le sol collait. Mais j’ai toujours demandé l’autorisation. Car cela peut faire des dégâts. Il y a eu des soucis dans le canton de Vaud, certains ont carrément talqué tout le parquet», regrette Janine, 75 ans.

Maria-Louisa danse depuis son plus jeune âge. Photo: Muriel Antille

Les nostalgiques de l’Île

Cette Yverdonnoise est arrivée la première, ce dimanche, pour avoir la meilleure table. «Avant, j’allais danser à l’Ile, à Boudry. Mais ils n’organisent plus de thés dansants. Puis, il y a eu le Covid. Maintenant, je viens ici, avec la même équipe. J’aime cette ambiance, on est une famille.»

Vêtue d’une élégante robe noire, elle s’évente entre deux danses. «On voit parfois des reportages où les participantes se préparent dès le matin. Mais l’idée, ici, c’est de venir comme on est. Parfois, je danse en jeans. Aujourd’hui, c’est tombé sur la robe.»

Janine dansait, auparavant, à l'Ile à Boudry. Photo: Muriel Antille

Fin d’un morceau. On applaudit Jacky Thomet et son batteur. On se complimente sincèrement, le pouce levé. Une gorgée d’eau minérale ou de Coca, unique boisson qui étanchera la soif de l’après-midi. Un participant s’éponge le front de son quatrième mouchoir, et repart avec son épouse pour un twist endiablé. Quelle santé!

Philippe, lui, m’a glissé son numéro de téléphone sur un billet. «T’as besoin de cours, je peux t’aider», il me dit. «T’es trop dominante, mais ça se corrige.»

Janine est retournée tournoyer sur la piste de danse. Les après-midi dansants, c’est son rendez-vous. La balade des gens heureux, en somme.

Neuchâtel: les thés dansants font tourner têtes et cœurs

Loin d’être ringards, les thés dansants connaissent un véritable engouement. A Neuchâtel, on vient de loin pour danser sur des rythmes endiablés. Tout est dans la chaussure, nous glisse-t-on… Reportage.