Largement graciée. Catherine-Marie de Serval, noble neuchâteloise accusée du meurtre d’un fonctionnaire, a évité la peine de mort ce samedi 5 mars.

Durant plus d’une heure, le jury, composé d’une quarantaine de personnes, a écouté attentivement les arguments des deux parties. D’un côté, Louise de Serval, royaliste et petite-fille de l’accusée. De l’autre, Léopold Boisgentil, révolutionnaire, procureur et conseiller d’Etat.

Nous sommes en 1848, à l’aube de la République neuchâteloise. Il s’agit du tout premier procès. «Finis les privilèges, la justice est enfin la même pour tous!», se réjouit Léopold Boisgentil.

Léopold Boisgentil (Gilles Tschudi) et Louise de Serval (Carine Martin). Photo: Lucas Vuitel

D’après lui, Catherine-Marie de Serval n’a pas seulement «froidement assassiné» le fonctionnaire venu recenser les membres de sa famille en vue du prélèvement d’impôt et du service militaire. Elle a «voulu fomenter une ignoble stratégie afin de restaurer l’Ancien régime».

Selon le révolutionnaire, «elle s’est jetée comme une furie sur le fonctionnaire pour le faire basculer dans les escaliers. Il a chuté et s’est brisé la nuque.»

S’attaquer à la monarchie, c’est s’attaquer à Dieu!

Louise de Serval

Evidemment, Louise de Serval ne voit pas les choses du même œil. Selon elle, «la faible vieillarde, de presque 67 ans, a saisi son épée pour se défendre. Surpris, le fonctionnaire a raté une marche.» La petite-fille de l’accusée a rappelé les différentes actions bienfaitrices de son aïeule, notamment la fondation d’un foyer pour enfants pauvres.

D’après elle, sa grand-mère est condamnée d’avance, car «ses valeurs sont un obstacle» pour les révolutionnaires. «S’attaquer à la monarchie, c’est s’attaquer à Dieu!»

Louise de Serval dans le cloître de la collégiale, face au jury. Photo: Lucas Vuitel

Le jury, resté debout tout le long du «Procès», réchauffé par le soleil, a suivi les deux protagonistes tout autour de la collégiale, voyageant de l’esplanade au cloître, en passant par la statue de Guillaume Farel. Au-delà du cas de Madame de Serval, c’est la démocratie qui a été passée à la loupe.

Pour Léopold Boisgentil, la République permettra au peuple d’être libre. «Nous prendrons des décisions politiques qui nous concernent. Les citoyens seront égaux en droit plutôt qu’à la botte d’un roi.»

«Foutaises», s’emporte Louise de Serva. «La voix d’un boulanger aura-t-elle la même valeur que celle d’un conseiller d’Etat? Il n’aura pas le temps de s’intéresser à la chose publique et votera comme on lui suggère de le faire. Ce sont les idées les plus diffusées, et donc les plus financées, qui le séduiront.»

Le rôle de Léopold Boisgentil est tenu par Gilles Tschudi, père du metteur en scène Raphaël Tschudi. Photo: Lucas Vuitel

On vous épargne la suite des joutes verbales, tant chaque camp a instrumentalisé à outrance le sort de Catherine-Marie de Serval. La Réforme, la Révolution, Napoléon, le Sonderbund: les deux protagonistes ont continué de se battre à propos des valeurs de notre démocratie, avec de larges connaissances historiques. Il n’y avait plus de lien avec la justice, uniquement de la politique.

Tout le monde n’avait pas le droit de vote

Un avis partagé par Marc, 65 ans, membre du jury. «J’ai préféré l’abstention. Ils ont beaucoup parlé d’histoire, mais peu des faits. On ne condamne pas une personne à mort de cette manière. Et pas en quelques minutes.»

Anne, le même âge, a choisi de gracier Catherine-Marie de Serval. «Le doute a profité à l’accusée.» Sa voix n’a cependant pas été comptée. En tant que femme, elle n’avait pas le droit de vote à cette époque… Pareil pour l’un de ses amis: n’habitant pas la commune de Neuchâtel, il était alors considéré comme un étranger et n’avait pas voix au chapitre.

Le jury a voté à main levée. Photo: Lucas Vuitel

Toutes les personnes interrogées ont apprécié de pouvoir prendre part au «Procès», cette performance théâtrale interactive. Raphaël Tschudi, metteur en scène (qui a imaginé ce spectacle en compagnie de l’autrice Orane Burri), se dit «très content» de cette première. «Le jugement des gens concernant Madame de Serval dépend beaucoup du jeu des comédiens (réd: Carine Martin et Gilles Tschudi)», estime-t-il.

Peut-être que les prochains jurys réserveront un autre sort à la noble neuchâteloise. Le spectacle «Procès-1848», produit par La Cie le Préfixe et Les Regardiens, est encore donné ce dimanche 6 mars, puis chaque week-end jusqu’au 27 mars.

Infos et réservations sur le site internet www.leproces.ch.

«Le Procès – 1848» de retour en juillet à la collégiale

Après son succès ce printemps, la pièce de théâtre en plein air revient cet été. Les représentations commencent le 2 juillet.