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Elle a travaillé toute sa vie à 100%. Et pourtant, à 68 ans, Valérie* se retrouve à vivre avec une retraite d’exactement 2545.27 francs par mois, comme en atteste son livre de comptes, où elle liste scrupuleusement, à la main, chaque entrée et dépense.

En moyenne, une fois les factures payées, il lui reste 300 francs pour la nourriture. Les loisirs, eux, passent à la trappe. «Je ne vais jamais au restaurant, ni boire de cafés au bistrot et je ne bois pas d’alcool», relève la frêle retraitée en nous accueillant dans son petit salon, quelque part en Suisse romande.

Sur un chevalet sont exposées ses peintures et celles de ses deux petits-enfants, qu’elle garde régulièrement. «Quand ils viennent à la maison, je leur fais des spaghettis bolognaise», raconte-t-elle. Avant de se corriger: «Enfin souvent plutôt des pâtes carbonara, parce que c’est moins cher.»

Lorsqu’elle a besoin de nouvelles chaussures, Valérie les commande sur un site où elle peut payer par tranches de 15 francs par mois. «Même si cela rajoute des frais, je ne peux pas faire autrement», explique-t-elle.

Calvaire interminable

Formée dans une école hôtelière à Paris, Valérie est passée par des palaces, des hôtels, des tea-rooms, des pizzerias françaises, comme gérante, cheffe de salle ou responsable d’accueil. Elle a d’abord collaboré avec son époux, cuisinier, jusqu’à leur séparation à la fin des années 1980.

La voilà dès lors forcée de cumuler le double rôle d’employée et de mère célibataire. «Je faisais des horaires pas possible, j’étais fatiguée et rachitique.» Malgré leurs relations difficiles, elle a pu compter sur ses beaux-parents pour garder son fils et sa fille.

Une fois ces derniers devenus grands, Valérie décide de rejoindre le pays de ses rêves, la Suisse, au début des années 2000. Elle y travaillera encore pour différents établissements, avant de prendre sa retraite il y a quatre ans.

J’ai galéré toute ma vie pour m’en sortir et maintenant que je suis à la retraite, je ne peux même pas me dire «ouf»

Valérie*, retraitée de 68 ans.

Elle découvre alors le montant de sa rente: à peine plus de 1000 francs d’AVS, 700 euros de l’Etat français et environ 400 francs de deuxième pilier. «Une ancienne collègue m’a convaincue que j’avais droit à des aides, que j’avais cotisé pour. Alors j’ai mis mon orgueil de côté et contacté Pro Senectute.»

L’association l’aide à obtenir des prestations complémentaires (PC) de quelques centaines de francs. A peine de quoi lui permettre d’émerger au-dessus du seuil de pauvreté de 2279 francs défini par la Confédération.

Malgré ses difficultés, Valérie ne parle jamais de sa situation à son entourage. «J’ai trop honte», admet-elle en tremblant. «Je suis triste aussi, parce que j’ai travaillé toute ma vie, galéré pour m’en sortir, et maintenant, je ne peux même pas me dire 'ouf', je suis à la retraite, c’est fini!»

17,7% de retraitées précaires

La sexagénaire n’est de loin pas la seule concernée. En Suisse, 17,7% des femmes retraitées vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon une étude de l’Observatoire national de la vieillesse de 2022.

Chez les hommes de plus de 65 ans, la proportion tombe à 9.9%. Selon l’étude, cet effet de genre «s’explique principalement par la nette séparation des rôles entre les sexes qui a marqué la Suisse au siècle dernier», lorsque les hommes travaillaient et les femmes s’occupaient essentiellement des enfants.

Quand vous arrivez à la fin du mois et qu’il ne vous reste que 20 francs, le plus difficile est de garder le moral

Solène*, Neuchâteloise de 61 ans

Les conséquences de ce mode de vie s’observent sur la prévoyance professionnelle: 82,9% des hommes retraités touchent un 2e pilier, contre 69,5% des femmes, selon une étude de l’OFS de 2020, qui souligne aussi la différence des montants médians perçus: 2217 francs pour les hommes contre 1165 pour les femmes.

D’autres facteurs influencent le risque de pauvreté: les retraitées de nationalité étrangère, divorcées, veuves ou célibataires et au bénéfice d’un faible degré de formation constituent les personnes les plus vulnérables.

Valérie cumule justement plusieurs de ces facteurs. Divorcée, elle est arrivée tardivement en Suisse et présente donc des trous dans ses cotisations AVS. Comme pour beaucoup de personnes de nationalité étrangère, la rente versée par son pays d’origine ne suffit pas à combler ces lacunes.

«Beaucoup d’amertume»

Solène* est aussi divorcée – deux fois. Elle a en revanche toujours travaillé ici… Mais à temps partiel. «J’ai privilégié ma vie de famille plutôt que ma carrière», relève la détentrice d’un brevet fédéral d’assistante de direction. Elle sourit: «C’est un beau papier, mais en réalité, je n’ai jamais occupé ce poste.»

La Neuchâteloise de 61 ans a œuvré comme secrétaire pour différentes institutions privées et publiques jusqu’en 2020, année où elle a dû abandonner son dernier poste après un burn-out.

A l’aube de ses 60 ans, elle se retrouve alors au chômage. «J’ai essayé de retrouver un emploi, mais plus vous vieillissez, plus c’est difficile, surtout quand vous êtes une femme», déplore la sexagénaire.

Grève des femmes,14 juin: A la retraite, les femmes sont davantage touchées par la pauvreté que les hommes (17.7% contre 9.9%) de Solène*, 61 ans, qui peine déjà à boucler ses fins de mois et est rongée de peur par son passage à la retraite.

Neuchâtel, 07 06 2023
Photo David Marchon © DAVID MARCHON Après avoir travaillé toute sa vie comme secrétaire, Solène*, 61 ans, risque de se retrouver avec peu de moyens financiers.
Photo: David Marchon

S’ajoutent à l’équation un accident en 2021 et une grave blessure à la jambe, qui la handicape au quotidien et diminue encore ses chances de réintégrer le marché du travail.

Aujourd’hui, elle touche environ 3500 francs par mois du chômage et doit tout calculer au quotidien. «Quand vous arrivez à la fin du mois et qu’il ne vous reste que 20 francs, le plus dur est de garder le moral», souligne cette mère de trois enfants aujourd’hui adultes.

Elle craint vraiment d’arriver à la retraite et de voir son revenu baisser encore. «Je ressens une grosse colère et beaucoup d’amertume, parce que j’ai beaucoup donné pendant 45 ans, j’ai respecté les règles, et malgré tout, je vais être pauvre. J’ai l’impression de payer mon choix d’avoir priorisé mes enfants.»

* Les prénoms ont été modifiés.

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