Mais le temps presse: d'abord parce que l'érosion menace de détruire ces témoins de la «civilisation lacustre», enfoncés dans le sol mille ans avant notre ère. Ensuite, plus prosaïquement, parce que l'Etat de Neuchâtel a mal à ses finances. L'équipe de Béat Arnold, archéologue cantonal, met donc les bouchées doubles: cet été, les plongeurs sont mobilisés durant cinq mois pour sortir de l'eau encore un petit millier de pieux en chêne.
«Nous avons réalisé jusqu'ici 900 plongées, ce qui représente 2000 heures sous l'eau, calcule Béat Arnold. Et nous avons fouillé environ 6000 mètres carrés.» Le camp a été installé il y a deux ans. Le gros oeuvre devrait être achevé à l'automne. Et la plupart des pilotis qui soutenaient l'ossature des maisons du village lacustre seront analysés, photographiés, et surtout datés.
Car l'étude du bois est l'un des objectifs les plus ambitieux de cette fouille. Spécialisé dans la dendrochronologie (la datation par l'étude des cernes des troncs), Fabien Langenegger mène là une vraie enquête de détective. Et la langue de bois, il la comprend parfaitement: «Nous avons déjà daté deux cents pieux. Les plus vieux ont été coupés l'hiver -1010 à -1009, les plus récents en -967, ce qui rend le village de Bevaix-Sud parfaitement contemporain de celui de Cortaillod-Est, fouillé il y a déjà une vingtaine d'années.»
Et pouvoir comparer deux villages, c'est très précieux. Ainsi, la palissade qui entourait le village lacustre de Cortaillod était en chêne, alors que celle de la baie de Bevaix est, en majeure partie, composée de pieux en hêtre. Et l'orientation des deux villages est un peu différente.
«Nous faisons les constatations. Mais nous n'en sommes pas encore arrivés au stade des conclusions, note Béat Arnold, car il y a encore trop de pourquoi dans nos questions. Ce dont nous sommes sûrs, en revanche, c'est qu'aucun des deux villages n'a brûlé. Et que les pieux, une fois grossièrement coupés sur place, étaient transportés au village, puis taillés en pointe et stockés, parfois dans l'eau et assez longuement, avant d'être fichés dans le sol.»
Les chênes qui servaient à la fabrication des pilotis étaient, pour les plus vieux, âgés de 250 ans. Ils étaient coupés en quatre ou en six éléments, fournissant autant de poteaux. Lors de réparations, les villageois utilisaient des troncs plus jeunes. «La dendrochronologie nous donne même des indications sur le climat, note Fabien Langenegger. Ainsi, on peut lire dans les cernes que certaines années ont été clémentes, ou certains hivers rigoureux. Nous obtenons aussi beaucoup d'informations sur le mode d'exploitation des forêts.»
Mais si l'analyse du bois permet de connaître quels insectes l'ont parasité ou quel type de hache l'a façonné, «elle ne nous livrera pas l'âge du bûcheron, sourit Béat Arnold. Allez savoir! / FRK