.«Les locataires de la rue de la Fin 4 n'ont plus rien! Pendant l'incendie, ils sont sortis pratiquement à poil.» Jusqu'à cette nuit du 8 au 9 janvier, Régine* (prénom fictif) vivait dans la maison située juste à côté du locatif ravagé par les flammes, à Cortaillod. Sa maison à elle tient toujours. Mais elle a sérieusement souffert de l'incendie. «Il faut pratiquement tout refaire! Beaucoup ne le savent pas, mais de nombreux voisins n'ont pas pu rentrer chez eux. Je vis chez des amis. En tout, six familles sont à reloger.»
Lors du sinistre, Régine a perdu tous ses vêtements, son lit et d'autres «broutilles». «Mais je m'en fous!, lance-t-elle sans hésitation. Je mets des habits deuxième main.» Pour elle, le choc a été ailleurs. «Il était humain. Cette nuit-là, j'ai cru que j'allais perdre mon fils, qui était dans l'immeuble en flammes.»
Après l'incendie, la solidarité s'est mise en place au sein du village. «Les gens ont été magnifiques, explique la sinistrée. Ils ont voulu nous donner des jouets et plein d'autres choses. Nous leur avons dit d'attendre qu'on ait un appartement!»
Cette réaction de solidarité de la part des voisins, Séverine Favre la constate après chaque sinistre. Membre de l'unité cantonale d'intervention psychosociale, la jeune femme parle du deuil que doivent traverser les sinistrés.
Que ressentent les victimes d?incendie en voyant leur maison partir en fumée? Séverine Favre: Tout d?abord de l?impuissance. Elles constatent qu?elles ne peuvent rien faire. Et qu?on ne leur laisse rien faire. Notre cellule de soutien a pour mission de les protéger physiquement, notamment en les éloignant du sinistre. Puis les victimes éprouvent de la colère. Elles peuvent s?emporter contre le propriétaire de l?immeuble, les pompiers qui seraient soi-disant arrivés tard ou encore les policiers. Elles cherchent un bouc émissaire pour donner un sens à la tragédie. Il nous est alors primordial de ne pas juger de l?émotion de ces personnes. A quel moment les sinistrés réalisent-ils qu?ils sont en train de tout perdre? S.F.: Une fois la colère passée. Les gens sombrent alors dans une véritable tristesse, qu?ils expriment par des pleurs ou autrement. Ce n?est pas la perte d?un petit pactole qui fait mal, mais la disparition des souvenirs, de ce qui a une histoire. Un jour, un enfant se focalisait sur une paire de baskets que sa mère venait de lui offrir. En général, tous ceux qui vivent un deuil traversent ces différentes étapes. Avant de passer à la reconstruction et à l?appropriation d?un nouvel endroit. Vous parlez de deuil en évoquant la perte de son domicile. Le mot n?est-il pas un peu fort? S.F.: Non. Lors d?une perte matérielle, un processus similaire à celui du deuil se met en marche. Il y a par exemple le déni: au moment de l?absorption du choc, les victimes prétendent que «non, ce n?est pas possible, ce n?est pas vrai». Lors d?un incendie, il n?est pas rare que les habitants émettent l?espoir de retourner chez eux le soir même. Quel est le rôle de l?unité d?intervention psychosociale? S.F.: Pendant l?incendie, le plus important est d?offrir une présence aux sinistrés, de les écouter. Et de ne pas arriver avec de grandes théories. Nous récoltons l?émotionnel et rassurons les gens. Puis nous les aidons à informer leurs proches, nous leur expliquons où ils pourront passer la nuit et nous répondons à des besoins de base. C?est de l?aide immédiate. Si les gens ont besoin de plus, nous les dirigeons par exemple vers le centre psychosocial ou vers l?Office médico-pédagogique. A Cortaillod le 9 janvier, la cellule n?est pourtant pas intervenue. Pourquoi? S.F.: L?unité dépend de la Protection civile. Lors d?un sinistre ? incendie, hold-up, accident ou mort violente ? , elle est appelée soit par la police, soit par le Service d?incendie et de secours. Notre intervention dépend donc de la sensibilité de l?agent sur place. Les victimes d?incendie craignent-elles le feu par la suite? S.F.: Non, elles ne sont pas forcément hantées par les flammes. Dans certains cas pourtant, des personnes auront tendance à éviter le lieu du drame et ce qui s?y rapporte pour essayer d?oublier. Des symptômes peuvent-ils frapper les sinistrés après le choc? S.F.: Oui, par exemple des cauchemars, des insomnies, des angoisses diffuses. Pendant un mois, ces réactions après le choc sont encore considérées comme normales. Et si les angoisses persistent au-delà d?un mois? S.F.: La personne devrait alors demander un soutien thérapeutique afin de retrouver un équilibre dans sa vie. Mais il faut savoir que seules 10% des victimes environ développent à long terme tous ces symptômes. La majorité s?en remettent bien, avec le temps. /VGI