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«Les sportifs d'élite sont traités de pire façon que les criminels»

L'avocat neuchâtelois Christian Flueckiger a réalisé une thèse volumineuse (plus de 300 pages) sur les problèmes juridiques soulevés par la lutte antidopage et la vie d'un sportif au sein d'une équipe. Selon lui, les contrôles ne respectent pas toujours la protection des données, ni les informations que l'on donne aux médias. Les sportifs d'élite, les cyclistes et les footballeurs en particulier, sont victimes d'atteinte à leur personnalité. Attention, Christian Flueckiger (36 ans) n'est pas un avocat tentant de se faire de l'argent sur le dos des sportifs. Non, c'est un juriste passionné de cyclisme. Et pour sa thèse de doctorat, il a choisi un thème sportif. «La protection des données médicales des sportifs professionnels: au sein d'une équipe et dans le cadre de la lutte contre le dopage».

15 mars 2008, 12:00

Chrisitan Flueckiger, pourquoi avoir choisi ce sujet?

En suivant la course sur route des Mondiaux de cyclisme en 2001, j'ai été choqué par les commentaires des journalistes. Ils ont parlé de la santé des cyclistes en divulgant des données très précises. Cela m'a frappé. En tant qu'avocat, comme les médecins, nous sommes tenus au secret professionnel. Je ne comprends pas que l'on puisse en dire autant sur un sportif.

Sur quelles bases avez-vous travaillé?

J'ai étudié les réglementations associatives et identifié les rapports juridiques entre les parties afin de voir si les traitements de données respectaient la législation étatique. Ma conlusion est négative.

Quelle portée peut avoir votre thèse?

Elle peut permettre aux sportifs de mieux défendre leurs droits. Cela doit aussi faire réfléchir les fédérations et associations sportives. Je sais que des nouveaux standards de contrôles sont prévus dans le prochain Code mondial antidopage, mais le problème existe tout de même. Un tricheur pourrait gagner une procédure en utilisant cette lacune légale.

Il faut donc adopter des lois de lutte contre le dopage respectant mieux la personnalité des sportifs.

Exactement. En Suisse, un projet de révision sur la loi sur l'encouragement à la gymnastique et le sport va bientôt être proposé au Conseil fédéral. Il devrait mieux fixer les limites de ce qui est légal ou pas.

Vos conclusions remettent-elles en question toute la lutte antidopage?

Non. La lutte antidopage est possible. Or, actuellement, elle porte atteinte à la personnalité des sportifs, en particulier des cyclistes, et bafoue leur personnalité. Les sportifs d'élite sont traités de pire façon que les criminels. Personne ne peut avoir accès au dossier d'un pédophile hormis des hommes de loi. La confidentialité est respectée lors des enquêtes criminelles. Ce n'est pas le cas d'un sportif blessé ou déclaré positif. Pire, dans le cas des cyclistes, la présomption d'innocence est clairement bafouée.

Certains jugements, notamment dans l'affaire Kashechkin, ne contredisent-ils pas votre thèse?

Dans l'affaire Kashechkin, le tribunal belge considère la signature du code éthique du ProTour comme un contrat de travail. Le problème est qu'il n'y a pas de consentement libre. Soit le cycliste signe ce code, soit il ne peut pas participer aux plus grandes courses du circuit. Le Tribunal fédéral, dans le cas du tennisman Cañas, a estimé que les droits du joueur n'avaient pas été respectés et que des données concernant sa vie privée avaient été divulguées. D'autre part, selon cette instance, il n'avait pas accepté librement les clauses de la réglementation du tennis atteignant sa personnalité.

Quelle est la solution?

Actuellement, les données sont diffusées à de trop nombreuses entités et ne restent pas secrètes. Ces renseignements sont de type médical, un certain secret devrait être respecté. Il suffirait de mieux centraliser la gestion de ces informations. En Suisse, pour les athlètes de niveau national, la centralisation des données auprès de Swiss Olympic est en partie conforme à la protection des données.

Ne court-on pas le risque de laisser jouer des tricheurs?

Il est juridiquement possible de protéger la personnalité des sportifs et d'écarter rapidement les tricheurs. Certaines informations ne devraient pas transparaître. Il faut sanctionner les fuites.

Et si un sportif d'élite n'était pas un citoyen comme un autre?

Qu'est-ce qui justifie cette théorie? C'est comme pour les personnages publics, doit-on publier toutes les données de leur vie intime? L'accès à l'information auquel ont droit les médias ne justifie pas de tout connaître sur l'état de santé et la vie privée d'un sportif d'élite.

Vos conclusions limitent-elles le champ d'action de la lutte antidopage?

J'essaie de montrer que la bonne volonté manifestée par certains organes, en particulier l'UCI, les expose à violer très gravement les principes de la protection des données. C'est bien de lutter contre les tricheurs, mais il faut agir avec un minimum de respect. Les instances sportives peuvent corriger le tir. Elles ont agi très rapidement en 1998 après l'affaire Festina. En quelques mois, l'Agence mondiale antidopage a été créée. Pourquoi ne pas en faire de même avec les principes légaux pour améliorer la protection des données médicales des sportifs? Même modifiée dans ce sens, la lutte antidopage reste tout aussi efficace. / JCE

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