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Les renvois forcés d'étrangers, une pratique aux multiples abus

Chaque année, les autorités suisses organisent plusieurs dizaines de vols spéciaux pour renvoyer de force les personnes auxquelles l'asile a été refusé. Décryptage d'une pratique et de ses dérives.

02 sept. 2008, 09:00

«Al'aller, nous servons des sandwichs et de l'eau. Au retour, à la demande des policiers, c'est le festin. Systématiquement.» Anna (prénom fictif) est formelle: chaque fois qu'elle a accompagné un vol affrété pour les expulsions forcées d'étrangers, elle a servi le champagne au retour. «C'est comme une récompense après le travail accompli», explique l'hôtesse de l'air, qui a travaillé dix ans dans le domaine et qui préfère garder l'anonymat. Elle a accompagné une dizaine de vols spéciaux par an et organisé ces vols mandatés par l'Office fédéral des migrations (ODM).

Quarante à 45 vols ont permis de renvoyer environ 210 à 220 personnes l'année passée, selon le porte-parole de l'ODM Jonas Montani. Les six premiers mois de l'année 2008, 101 personnes ont été remises à leur pays d'origine, à bord de 22 vols spéciaux spécialement affrétés. Pour un coût oscillant entre 7000 et 9000 francs par personne.

Des policiers formés pendant une semaine aux «refoulements par voie aérienne» à l'Institut suisse de police, à Neuchâtel, sont aussi du voyage. «En Suisse romande, 100 policiers ont suivi la formation jusqu'à présent. Ils sont appelés cinq à six fois par an», déclare Gérard Maury, chef de la police de sécurité internationale à Genève et responsable des cours en Suisse romande.

Anna a vu ces policiers à l'œuvre: «Pour chaque personne renvoyée, la police nous communique un niveau. Le niveau 1 désigne les personnes qui rentrent de leur plein gré et le niveau 4 celles qui sont emmenées de force. Dans ce cas, elles sont attachées à une chaise roulante, les poignets liés et leur tête est recouverte d'un casque.» Après les décès du Palestinien Khaled Abuzarifa en 1999 à Zurich par étouffement et du demandeur d'asile nigérian Samson Chukwu en 2001 en Valais par «asphyxie posturale», le bâillon et le scotch sur la bouche ont été abandonnés.

C'est dans cette position inconfortable qu'Assan et Nasser (prénoms fictifs) ont quitté l'aéroport de Genève pour la Libye le 22 novembre 2007. Aux quatre policiers qui les accompagnaient, Nasser a dit son inquiétude en voyant l'avion se poser sur l'aéroport militaire de Maitaga, à Tripoli. Ses craintes étaient fondées, puisque les deux hommes ont été remis aux services secrets de leur pays. A leur arrivée, ils ont été enfermés dans une fourgonnette blindée et transférés à la prison d'Alamen Aklariji, spécialisée pour les cas d'espionnage et les activités à l'étranger.

Denise Graf, juriste auprès de la section suisse d'Amnesty International, a recueilli le récit de l'expulsion et de l'arrestation d'Assan par l'intermédiaire de son frère, qui réside en Suisse. Il est resté vingt-deux jours dans cette prison, y a subi interrogatoires, coups et menaces.

On ne sait pas combien de personnes, expulsées de force, se sont retrouvées derrière les barreaux. Quelques cas tragiques, tels celui du Birman Stanley Van Tha, torturé et condamné à 19 ans de prison à son retour, ont fait grand bruit. «L'année passée, il y a eu quatre renvois forcés vers la Libye et trois personnes ont été arrêtées.

Deux Afghans ont aussi été arrêtés car le fait d'être accompagnés par la police suisse à leur arrivée les a rendus suspects aux yeux des autorités afghanes», énumère Denise Graf. «La pratique de l'ODM est de plus en plus dure. La Suisse effectue des renvois dans tous les pays, même en Syrie, en Irak et en Afghanistan, afin de dissuader de nouveaux candidats à l'asile.» Quand on interroge Jonas Montani sur le suivi des personnes renvoyées, il avoue que les informations dont dispose l'ODM proviennent essentiellement des ambassades suisses sur place. Il maintient néanmoins que «les renvois forcés sont nécessaires, car ils permettent de montrer aux gens que nous exécutons les lois en vigueur.»

La Liberté

Joëlle Scacchi a réalisé cette enquête pour le magazine «Amnesty», une publication de la section suisse d'Amnesty International

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