Entreprise entièrement en mains publiques, Viteos livre l’électricité à la moitié des ménages neuchâtelois, en desservant principalement les trois villes de Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds et Le Locle. Elle distribue 500 des 1200 GWh consommés chaque année dans le canton. Mais Viteos est aussi le seul fournisseur cantonal de gaz, elle alimente en eau potable 70% de la population neuchâteloise et gère un important réseau de chauffage à distance.

Directeur général de l’entreprise depuis janvier 2020, Daniel Pheulpin est donc en première ligne dans le contexte de la crise énergétique actuelle.

Avec la crise énergétique, vous avez lancé une task force, active depuis juillet. A quoi sert-elle?

Dans le domaine de l’électricité, on parlait déjà de pénurie à la fin de l’année 2021, avant la guerre en Ukraine. Les principaux scénarios étaient déjà planifiés. Du moins sur le papier, la mise en œuvre, c’est autre chose. Au mois de mai, nous étions surtout inquiets par rapport au gaz, afin de sécuriser notre approvisionnement.

Notre task force s’occupe aussi de l’eau, car si on n’a plus d’électricité, nous ne pouvons pas la distribuer dans tous les secteurs. Tout est lié. Mais actuellement, nous ne sommes pas encore en situation de pénurie, nous pouvons donc anticiper et planifier.

La hausse des prix de l’énergie affecte-t-elle l’entreprise?

Avant de vendre cette électricité, il faut l’acheter. Les prix ayant été multipliés jusqu’à quinze selon les périodes, les besoins en trésorerie pour faire les ajustements journaliers sont plus conséquents. Il y a aussi une attention très prononcée sur l’évolution des prix des énergies, pour décider quand il faut acheter.

Faites-vous du «trading» sur le marché des énergies?

Nous ne faisons qu’acheter de l’électricité ou du gaz pour le revendre à nos clients. Nous avons parfois du surplus que nous revendons. Mais nous ne sommes pas comme les grands groupes. Nous ne faisons pas de spéculation.

Interview avec le directeur général de Viteos Daniel Pheulpin

La Chaux-de-Fonds, 28 10 2022
Photo David Marchon

Daniel Pheulpin: «Un franc payé à Viteos, c’est un franc réinvesti dans le canton de Neuchâtel.» Photo: David Marchon

Vous avez des projets pour augmenter votre production propre d’électricité, qui ne représente encore que 13% de ce que vos clients consomment?

Nous avons pour ambition de poser chaque année des panneaux photovoltaïques visant une production de 6000 MWh. L’an dernier, nous en avons posé pour 4900 MWh, soit l’équivalent de la consommation de 1400 ménages.

Pour l’hydraulique, nous sommes plutôt limités en matière de cours d’eau dans le canton. Nous avions un grand projet pour turbiner différemment l’eau de l’Areuse, mais nous l’avons laissé de côté à cause de la protection de la faune, de la flore et du paysage. Nous avons également des contacts pour le solaire dans l’arc alpin en collaboration avec des partenaires.

Pourriez-vous prendre une participation dans le projet des éoliennes du Val-de-Ruz, piloté par Groupe E?

C’est envisageable, si ça permet de sécuriser notre approvisionnement énergétique. Il ne pourra pas s’agir d’un simple placement financier. Ce doit être une production propre. Par rapport à Groupe E, nous sommes à la fois partenaire, concurrent et client. Une partie du réseau à haute tension qui nous fournit de l’énergie passe par Groupe E.

On peut pourtant avoir l’impression que Groupe E et Viteos sont surtout concurrents…

C’est vrai qu’actuellement, nous n’avons pas de réel partenariat, mais plutôt des collaborations avec Groupe E. Notre énergie transite sur leur réseau, mais nous avons un petit différent.

C’est-à-dire?

Groupe E a augmenté les coûts d’utilisation du réseau haute tension. Les prix du réseau sont régulés et surveillés par l’ElCom, l’autorité fédérale de régulation. Groupe E n’a pas facturé suffisamment l’utilisation de son réseau et l’ElCom leur a demandé de régulariser la situation et d’adapter ses prix.

Le problème, c’est que nous avons vu que les prix qu’ils nous facturent ont augmenté, mais pas ceux de leurs clients directs, les consommateurs. Nos collègues fribourgeois, distributeurs d’électricité en Gruyère et à Morat, qui sont dans la même situation que nous, ont déposé une plainte contre Groupe E auprès de l’ElCom. De notre côté, nous avons écrit une lettre à cette autorité pour demander des informations sur ce sujet. Mais une plainte formelle pourrait suivre.

D’où vient l’électricité que vous achetez?

Des grands acteurs du marché. C’est essentiellement du courant hydrosuisse, c’est-à-dire provenant de barrages de notre pays. Nous achetons des tranches tout au long de l’année, jusqu’à trois ans à l’avance. C’est pour cela que le prix que nous facturons au client est bien plus bas que le prix du marché actuel.

En 2021, 66% de l’électricité que nous avons distribuée était d’origine renouvelable et suisse. Elle est renouvelable à 71% si nous intégrons l’énergie provenant de l’étranger. Il n’y a pas de nucléaire: le reste provient d’agents énergétiques fossiles (pétrole, gaz, charbon) de Suisse ou de l’étranger.

Daniel Pheulpin: «Nous avons prévu d’investir, dans les dix prochaines années, 600 millions de francs dans les infrastructures énergétiques dans le canton de Neuchâtel.» Photo: David Marchon

Viteos a-t-elle la taille nécessaire pour rester une entreprise indépendante?

En 2009, lors de l’ouverture partielle du marché de l’électricité, il y avait 800 entreprises électriques en Suisse et on prédisait qu’il en resterait une cinquantaine. Nous sommes toujours 600 aujourd’hui. Pour un petit distributeur, ça devient compliqué, la régulation et la législation étant complexes à maîtriser. De ce point de vue, Viteos a la taille critique pour répondre aux défis. Nous figurons parmi les trente plus importants distributeurs d’électricité en Suisse. Enfin, ce qu’il faut savoir, c’est qu’un franc payé à Viteos, c’est un franc réinvesti dans le canton de Neuchâtel.

Les Neuchâtelois ont-ils fait des économies d’énergie ces derniers mois?

C’est difficile à dire. Les communes ont mis en œuvre un certain nombre de choses. Chez Viteos aussi, nous prenons des mesures à l’interne pour montrer l’exemple. On a également mis sur pied une campagne de communication pour sensibiliser les entreprises, les gérances immobilières et les collectivités publiques. Nous constatons une légère baisse mais il n’est pas possible de la chiffrer précisément.

Avant, les fournisseurs d’électricité encourageaient la consommation. Maintenant, ils demandent d’économiser. Paradoxal, non?

Nous avons toujours eu pour objectif de réaliser la transition énergétique. Nous avons prévu d’investir, dans les dix prochaines années, 600 millions de francs dans les infrastructures énergétiques dans le canton de Neuchâtel. Notamment 200 millions pour le chauffage à distance. Nous souhaitons contribuer à la résolution de la crise climatique.

Les Neuchâtelois consomment moins d’électricité et de gaz, selon Viteos

Dans les trois villes du canton de Neuchâtel, la consommation d’électricité a diminué de 4% en octobre et novembre et celle de gaz de 15% par rapport aux années précédentes. Ceci en éliminant les différences météorologiques.