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Le porteur de paroles

Bernard Ascal est poète, il est chanteur. Il aime mettre en musique les textes des autres et vient de sortir un disque consacré au très beau «Poème de l'angle droit» de Le Corbusier. Le credo d'un amoureux des mots La poésie suscite un type de passion bien particulier: à la fois exalté et un peu désenchanté, l'amour profond et serein du chasseur de papillons pour les éclats de couleurs vibrants venus consteller le fond de son filet, même si peu de gens comprennent bien ce qu'il compte en faire au juste. Bernard Ascal est l'un de ces attrapeurs au vol de mots qui passent, il les capture et les met dans des chansons, histoire de les faire vivre hors des bibliothèques et des cercles fermés.

13 août 2006, 12:00
«Ronchamp est un des hauts lieux de ma mythologie personnelle»

C'est pourquoi Bernard Ascal se décrit comme un artiste «aux activités souterraines», lui qui voue la majeure partie de son intarissable enthousiasme à mettre en musique de la poésie contemporaine et du XXe siècle. Ce chanteur-écrivain-peintre français trouve le milieu de la poésie française «d'un égocentrisme consternant», il aime les poètes suisses - il a mis Georges Haldas en musique, il considère que les recueils d'Anne Perrier sont «des sommets du genre». Il se passionne pour la poésie d'Afrique noire et il adore Le Corbusier. Alors il a mis en musique son très beau «Poème de l'angle droit», une suite de 19 textes qui est ce que l'architecte d'origine chaux-de-fonnière a produit de plus construit en poésie.

«Ce projet est né d'une conjonction d'éléments, explique le chanteur. Je connais très bien la chapelle de Le Corbusier à Ronchamp, je suis amoureux de ce lieu depuis plus de quarante ans. J'aime aussi énormément Le Corbusier peintre et Le Corbusier sculpteur. Jean-François Mathey, qui est le responsable de la chapelle, m'a proposé de faire une création pour le cinquantenaire du lieu». Après s'être assuré que son athéisme ne constituait pas un obstacle majeur, Bernard Ascal s'est attaqué au «Poème de l'angle droit», aussi pour la raison qu'il n'en existe aucune édition facilement accessible au public. «Je n'avais jamais imaginé faire quelque chose à la chapelle, s'amuse Bernard Ascal. Pour moi, c'est un peu comme de chanter à Notre-Dame de Paris. Ronchamp est un des hauts lieux de ma mythologie personnelle».

Le musicien a voulu respecter la simplicité du texte en proposant un arrangement musical léger à géométrie variable. «Le poème est passionnant, il résume tout Le Corbusier. Mais il y avait le problème de la forme: la découpe est déstructurée, presque cubiste, de toute façon, elle ne facilite pas l'accès au texte». Certains passages demeuraient opaques dans les rangs des musiciens, pourtant rompus à ce genre d'exercices. La lecture à voix haute suscita davantage de lumière. «Ma technique, c'est de lire le texte presque jusqu'à le savoir par coeur. Je ne commence à penser à la partie musicale que lorsque j'ai capté les points d'appuis du souffle. Ensuite, la rythmique est induite par le texte et le mélodique s'enchaîne naturellement», explique le chanteur qui précise: «Je ne voulais pas être dans la variété, mais j'adore la chanson. Elle permet de mettre en lumière l'évidence du texte qui n'apparaît pas tout de suite à la lecture. Quand j'arrive à ce résultat, je suis un tout petit peu content», rigole-t-il.

«D'une actualité incroyable»

Bernard Ascal s'est laissé captiver par la réflexion de Le Corbusier, englobant l'intime et l'universel dans un même élan profondément humain, la relation de l'homme et de son environnement. «Ce texte est d'une actualité incroyable! Cette pensée alimente aujourd'hui les discours des écologistes, mais peu de gens y ont réfléchi avant. Cela me fait hurler d'entendre qu'on associe toujours Le Corbusier aux immeubles-barres. Il disait: 20% de construit pour 80% d'espaces verts!» L'artiste s'est ému aussi de cette énergie de l'architecte qui, au sortir de la guerre, «ne peut s'empêcher de se remettre à construire». Alors que les auteurs de son époque produisent des textes profondément pessimistes, à l'exception de ceux qui trouvent leur énergie dans la foi, «Le Corbusier puise la sienne en lui-même. C'est sans doute aussi pour ça que j'ai voulu porter cette parole-là».

Bernard Ascal se réjouit de constater que ses disques commencent à trouver un public, même s'il se moque d'avoir un réel succès. «Ma démarche est peu orthodoxe, je souhaite juste avoir une reconnaissance qui me permette de continuer». Vendre des disques ne l'intéresse pas davantage, mais permettre aux textes de circuler fait partie de sa démarche. C'est pourquoi il est à la tête d'une toute petite maison de disque, gérée par une toute petite équipe de passionnés de littérature: «une anomalie en France. La poésie est un domaine marginal dans lequel il n'y a pas d'enjeux de pouvoir, cela fonctionne par coups de coeur». /SAB

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