Le héros du conte, c'est l'acteur

L'amour, la jalousie, la mort. Tragédie virant à la comédie, «Le conte d'hiver» de Shakespeare est habité par des émotions intenses. Elles ont fasciné la metteuse en scène Lilo Baur, qui présente son travail ce soir, au théâtre du Passage à Neuchâtel.

04 févr. 2010, 10:50

Lilo Baur, vous aviez déjà abordé «Le conte d'hiver» en tant que comédienne. D'où votre envie d'y revenir?

Oui, aussi, j'imagine. J'étais beaucoup plus jeune à l'époque, j'avais joué le rôle de Perdita (réd: la jeune fille de la pièce). Mais c'est une pièce qui reste très vivante quand on mûrit. Ce qui me plaît, c'est que le personnage de Léontes comprend qu'il a tout perdu, sa femme, son fils. En vieillissant on comprend ses erreurs, et ce qu'il faut faire pour que ça n'arrive plus. Dans ses dernières pièces, Shakespeare a mis l'accent sur la réunion familiale. Dans «Le conte», on passe par toutes les étapes, l'amour, la jalousie, la mort, les retrouvailles. Le drame explose sans raison, Léontes se fait mal lui-même. Ces émotions fortes me fascinent de plus en plus.

La pièce est un hybride de tragédie, de pastorale, de comédie. Comment lui avez-vous donné sa cohérence?

La cohérence est dans la pièce elle-même. Entre la première et la deuxième partie, le Temps lui-même prend la liberté de sauter quinze ans. Après le drame, on doit passer par un moment comique, de digestion, pour que l'amour puisse renaître. On repart de zéro. Mais cet amour est lui aussi menacé de destruction, comme un rappel de ce qui s'était passé il y a quinze ans. A la fin, le jeune couple qui s'aime permet la réunion des parents; les pères, qui étaient des amis d'enfance, se retrouvent. Et c'est parce qu'on est passé par la comédie que l'on peut pardonner à Léontes ses erreurs passées.

Dans le travail préparatoire, vous laissez les acteurs improviser...

On a travaillé sur les thèmes, la jalousie, la destruction, en plusieurs groupes. Les acteurs ont pu suggérer des intensités différentes. J'aime qu'ils puissent amener leur univers. Nous sommes allés vers une jalousie plus contenue, plus vraie, que lors de la première mise en scène que j'avais fait à Athènes. Les petits détails sont plus importants dans ce spectacle-là. Mais dès le début, j'avais des idées précises sur la scénographie. Je savais que je voulais utiliser un mur pour figurer le tribunal. Les juges y apparaissent comme des insectes. Je voulais rendre la scène oppressante. Dans la deuxième partie, ce mur se transforme en rocher; pendant la fête de la tonte, les acteurs jouent eux-mêmes le rôle des moutons. J'avais opté pour des déguisements en peau de mouton, mais c'était aussi aux comédiens de trouver comment utiliser ces différents éléments.

Vous avez collaboré à plusieurs reprises avec Peter Brook. Que vous a-t-il appris?

La simplicité. C'est l'acteur qui transmet tout. Dans ce Shakespeare, le mur excepté, on n'a vraiment pas grand-chose sur scène; des paravents, une chaise, des tables. Ce sont les acteurs qui doivent faire les changements, donner l'atmosphère du lieu. Dans la scène qui se passe sur le rivage, par exemple, ils font les oiseaux, puis quand ils tombent, ils deviennent les rochers. Peter Brook fait confiance à l'acteur. C'est lui tout seul qui doit porter le spectacle, sans le secours d'une machinerie autour. /DBO

Neuchâtel, théâtre du Passage, ce soir à 20h. Complet, mais des places se libérant régulièrement au dernier moment, il est conseillé de se présenter à la caisse, une heure avant le début du spectacle