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Le cercle des patois disparus

Le septième volume du Glossaire des patois de la Suisse romande est paru. Le dictionnaire sera achevé en 2062. Une folle aventure qui se déroule à Neuchâtel.

05 juin 2014, 00:01
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Partout où le regard se pose, des centaines de boîtes tapissent les murs. A l'intérieur se trouvent des trésors pour les linguistes: des mots, des milliers de mots écrits par les rares habitants de Suisse romande qui, au début du 20e siècle, parlaient encore patois. Les fiches sont jaunies. Certaines viennent de La Brévine, du Landeron, de Noiraigue. L'écriture est liée, serrée, parfois difficile à déchiffrer.

Voici le matériel qu'analysent scrupuleusement, depuis plus de cent ans, les rédacteurs du Glossaire des patois de la Suisse romande. "Ce matériel se trouve dans 1367 boîtes, totalisant environ 2,7 millions de fiches. C'est un travail scientifique ardu, mais passionnant!" , commente le rédacteur Eric Flückiger.

L'équipe actuelle du Glossaire est basée à Neuchâtel, à deux pas de l'hôtel DuPeyrou. Elle est composée de sept rédacteurs, d'une bibliothécaire et d'une préparatrice. Et le travail qu'elle réalise est titanesque. Après 25 ans de recherches, les linguistes viennent de publier le septième volume du dictionnaire, consacré à la lettre F. Il compte 4679 définitions, sur plus de 1200 pages.

"Les Neuchâtelois y apprendront peut-être que le terme "faya", qui a donné "fée" que l'on retrouve dans "La Côte-aux-Fées", n'a rien à voir avec un personnage féerique. En patois, "faya" signifiait brebis" , raconte Eric Flückiger.

 

163 ans de recherches

 

Aujourd'hui, l'équipe de linguistes s'attelle à la lettre G. "Et je peux vous rassurer: il ne faudra pas attendre encore vingt ans avant la parution du prochain volume!" , annonce Anton Näf, directeur ad interim de l'institution universitaire. "Le huitième tome est prévu pour 2017, car deux équipes ont travaillé en parallèle sur les lettres F et G."

En 2017, l'équipe de chercheurs aura alors terminé la moitié du dictionnaire. "C'est une particularité du français et des patois romands: la moitié des mots commencent par les sept premières lettres de l'alphabet" , explique Anton Näf.

Si tout se déroule selon le calendrier établi, ce projet fou, entamé en 1899, sera entièrement terminé en 2062. Soit 163 ans après les premières recherches menées par le Neuchâtelois Louis Gauchat, père fondateur du Glossaire. En 1899, ce professeur, conscient que les patois romands sont en train de disparaître, entame un projet colossal et urgent: trouver les derniers locuteurs parlant patois et leur demander de remplir des questionnaires sur leur langage.

"Laisser les patois se perdre sans les recueillir méthodiquement et pieusement eût été plus qu'une négligence: une infidélité et une trahison" , écrivait le Neuchâtelois Arthur Piaget en 1924, président de la commission philologique du Glossaire, lors de la parution du premier volume.

 

Continuer malgré les décès

 

Entre 1900 et 1910, près de 200 patoisants de toute la Romandie s'appliquent à remplir des centaines, pour certains des milliers de fiches à la main, notant les termes qu'ils utilisent et leur signification en français.

"Dans le canton de Neuchâtel, le patois a rapidement décliné" , raconte Anton Näf. "En 1904, Louis Gauchat doit constater que, sur les neuf correspondants trouvés en 1899, quatre étaient morts depuis. A Corcelles, il trouve encore, avec bien du mal, un vieux couple parlant patois, et à La Côte-aux-Fées une femme de 89 ans. Quand, en 1908, une des meilleures informatrices neuchâteloises, Clémentine Digier, du Landeron, décède, il note ceci: ?Dans cette région, toute perte est irréparable?."

La majorité des patois romands, d'origine franco-provençale (sauf pour le Jura, où les dialectes sont franc-comtois), ont disparu au 20e siècle. A l'exception des idiomes parlés en Gruyère, à Evolène et en Ajoie, où il reste encore quelques locuteurs patoisants.

"L'école a contribué à éradiquer les patois" , regrette Anton Näf, rappelant que dans les lois scolaires, il était souvent interdit aux enfants de cracher par terre. Et de parler dialecte.

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