Elle est arrivée en Suisse début mars avec Micha, son fils de 7 ans atteint d’autisme. Lui a traversé la frontière helvétique à la fin du même mois, accompagné par Olena, son épouse, et leurs trois enfants, Kirill (13 ans), Ulyana (6) et Tymur (3 mois). Tetiana et Dima ont tous deux fui l’Ukraine en guerre. A Neuchâtel, tous deux ont redécouvert un sentiment se conjuguant désormais à l’imparfait dans leur pays: la sécurité.

A 40 ans, Tetiana, habitante de Kyiv, a peut-être dû dire adieu à son entreprise de graphisme et, surtout, à son époux, Taras (40 ans), engagé au sein de l’armée ukrainienne afin de repousser les forces russes de la capitale.

Dima (39 ans) a quant à lui abandonné une carrière d’avocat et le confort de son appartement familial à Kryvyï Rih, la ville natale du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, afin de protéger ses proches.

Une rencontre entre Neuchâtel et Oujhorod

«ArcInfo» a rencontré Dima et sa famille lors de leur rapatriement en Suisse. Fin mars, nous avons en effet accompagné un convoi humanitaire de l’association «Soutien à l’Ukraine – Neuchâtel» à destination d’Oujhorod, en Ukraine. Tetiana avait réalisé le même trajet quelques semaines auparavant avec son fils.

Nous avons souhaité prendre de leurs nouvelles. Rendez-vous au Centre d’accueil de Couvet, où loge la famille de Dima. Nous étions accompagnés de Marharyta, une Ukrainienne de 23 ans, arrivée dernièrement à Neuchâtel, afin de faciliter nos échanges. Interview croisée et sans langue de bois.

Pour cette interview, «ArcInfo» a pu compter sur la participation de Marharyta. L’Ukrainienne de 23 ans, arrivée il y a deux semaines à Neuchâtel, a joué le rôle d’interprète entre notre journaliste et les deux familles. Photo: David Marchon

Tetiana et Dima, quelles sont les nouvelles d’Ukraine?

Tetiana: Je n’obtiens plus que des nouvelles au compte-gouttes. Au front, mon mari se contente de me dire qu’il est en vie, qu’il est bien nourri et que son moral est bon. Je n’ai aucune idée d’où il se trouve. Il ne peut pas m’en dire davantage.

Mes parents, eux, habitent à Lougansk, dans le Donbass. Les bombardements y sont constants. Dans la région, des villes et villages sont rayés de la carte. Mais ils se portent bien.

Dima: Aux dernières nouvelles, notre appartement est encore «debout». Quant à nos parents, les derniers messages sont positifs.

En Suisse, les gens sont gentils et ouverts. Ils se soucient vraiment de savoir comment vous allez. Et ils essaient d’aider de toutes les manières possibles.

Tetiana

Comment se déroule votre intégration en Suisse?

Tetiana: Lentement (réd: dit-elle en français en riant)! Je n’aime pas ce mot «intégration». Je préfère parler «d’adaptation».

Je ne m’attendais pas à être si bien accueillie par la population. En Suisse, les gens sont gentils et ouverts. Ils se soucient vraiment de savoir comment vous allez. Et ils essaient d’aider de toutes les manières possibles.

Mais nos cultures sont très différentes. Par exemple, en Ukraine, tout va très vite. Ici, tout prend davantage de temps!

Dima: De mon côté, je tente aussi d’apprendre le français. Mais ce n’est pas simple.

Je suis d’accord avec Tetiana: j’ai le sentiment que les particuliers sont déterminés à avancer rapidement. Mais, de l’autre côté, l’Etat est beaucoup plus lent.

Le fédéralisme helvétique est quelque peu perturbant. En Ukraine, nous avons l’habitude d’avoir les mêmes règles partout. En Suisse, chaque canton possède ses propres règles. On ne sait pas trop quoi faire pour être juste. Même des Neuchâtelois ont de la peine à suivre.

Tetiana et Micha lors de leur voyage entre l’Ukraine et Neuchâtel. La mère et son fils sont photographiés par Daniel, un bénévole de l’association «Soutien à l’Ukraine – Neuchâtel» et également proche de la famille. Photo: DR – Daniel Criado Garcia

Dima, vous avez été placé au Centre d’accueil de Couvet avec votre famille il y a deux semaines. Comment se déroule votre vie?

Dima: Notre arrivée à Neuchâtel n’aurait pas pu mieux se passer. Nous avons d’abord été accueillis et placés dans un appartement spacieux, à Bevaix. Nos deux plus grands enfants ont très vite pu se rendre à l’école. Ils commençaient à tisser des liens avec les autres enfants. Kirill jouait régulièrement au football avec le club local. Puis, nous avons dû partir, l’appartement étant mis en vente par sa propriétaire.

Ça s’est gâté par la suite?

Dima: En quelque sorte. Je tiens à souligner que je préfère évidemment être à Couvet plutôt qu’en Ukraine, sans cesse dans la crainte de recevoir une bombe sur la tête. Mais ce centre de réfugiés n’est pas adapté à nos besoins.

Nous sommes une famille de cinq, avec trois enfants, dont un est en bas âge et diabétique. Nous vivons dans deux chambres, au troisième étage. Nous conservons l’insuline nécessaire pour notre fils avec nous.

Mais, dans le cas d’une hypoglycémie sévère, le glucagon, médicament permettant d’augmenter la glycémie, c’est-à-dire le taux de sucre dans le sang, est conservé dans un frigo scellé au sous-sol. Seuls des éducateurs peuvent l’ouvrir. Si nous n’avons pas accès rapidement au remède, cela peut entraîner des conséquences très graves, voire la mort.

Il y a beaucoup de bruits dans les couloirs du centre, de jour comme de nuit. (…) Notre fille ne parvient pas à étudier dans ces conditions.

Dima

Et puis, nous sommes de nombreux Ukrainiens ici, à Couvet (réd: ils étaient 58 à l'heure de la publication de cet article, selon le Service des migrations). D’un côté, c’est positif: nous nous soutenons mutuellement. Mais, de l’autre, ça complique notre intégration: nous ne parlons jamais français.

Il y a également beaucoup de bruits dans les couloirs, de jour comme de nuit. Nous nous faisons réveiller sans cesse. L’heure passée à endormir Tymur est régulièrement réduite à néant. Quant à notre fille, elle ne parvient pas à étudier dans ces conditions.

Dima et Olena, photographiés à Oujhorod, en Ukraine, avant d’être pris en charge par l’association «Soutien à l’Ukraine – Neuchâtel». Photo: SP – Robert Paillard – @corbes11

Qu’en est-il de votre côté, Tetiana?

Tetiana: Je ne peux pas me plaindre. A notre arrivée à Neuchâtel, Micha a été très rapidement pris en charge par la Fondation des Perce-Neige. Cela m’a permis de me libérer du temps pour suivre des cours de langue.

Nous avons été accueillis les premières semaines à Cressier, dans le Centre pédago-thérapeutique. Puis, nous avons déménagé dans cet appartement à Peseux. L’atmosphère y est très spartiate. Il nous manque encore beaucoup de meubles et d’ustensiles. Mais mon enfant est en sécurité. C’est le plus important à mes yeux.

Nous avons également proposé d’aider l’Etat de Neuchâtel dans les recherches d’un appartement afin d’accélérer le processus. Cela nous a aussi été refusé.

Dima

Dima: De notre côté, nous avions la possibilité d’habiter dans un appartement à Boudry. L’Etat de Neuchâtel nous a expliqué qu’il ne correspondait pas aux normes pour une famille de cinq personnes. Je comprends. Mais j’aurais tout de même préféré être placé là-bas plutôt qu’ici, à Couvet.

Ensuite, nous avons également proposé d’aider l’Etat de Neuchâtel dans les recherches d’un appartement afin d’accélérer le processus. Cela nous a aussi été refusé. Cela m’étonne.

Tetiana et Micha, à Couvet, immortalisés par un photographe d’«ArcInfo». Photo: David Marchon

Vos familles sont toutes les deux au bénéfice d’une aide sociale. Combien recevez-vous, et est-ce suffisant?

Dima: Nous avons déjà utilisé la quasi-totalité de nos économies. L’Ukraine n’a aucun moyen de nous faire parvenir de l’argent. Notre famille bénéficie d’un soutien du canton de Neuchâtel de 1100 francs par mois. Lorsque nous étions à Bevaix, nous recevions 1800 francs. La raison de cette différence n’est pas claire.

J’ai reçu 668 francs pour le mois de mai. Quant à savoir si cela suffira, je ne peux pas encore le dire.

Tetiana

Tetiana: Pendant que nous vivions à Cressier, l’administration de l’école nous fournissait tout ce dont nous avions besoin. Depuis notre déménagement, j’ai reçu 668 francs pour le mois de mai. Quant à savoir si cela suffira, je ne peux pas encore le dire: c’est notre premier mois de vie indépendante dans votre pays.

Qu’en est-il de la suite? Souhaitez-vous rester en Suisse?

Tetiana: Je suis très reconnaissante pour l’accueil qui nous est réservé en Suisse. J’ai également eu la joie d’être réunie avec des connaissances ukrainiennes. Mais j’aime mon pays de tout mon cœur. J’espère vraiment pouvoir y rentrer le plus rapidement possible.

Dima: Nous ne savons pas encore. Nous nous sentons bien, ici. Dans l’immédiat, nous espérons trouver rapidement un appartement. Ensuite, nous verrons bien.

Article réalisé avec la participation de Marharyta Kaliushka.

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