Comment ce spécialiste de Stendhal en vient-il à s'intéresser à ce qui passe aujourd'hui encore pour un genre mineur? Pour brouiller les pistes, il le rapproche lui-même d'un remake comme «Y-a-t-il un pilote dans l'avion?» et avoue toujours rire devant ce film ou les sketchs des Inconnus. Et pourtant, celui qui veut débusquer la parodie ne peut limiter sa curiosité à la culture de masse, au contraire: «Le lecteur idéal ne saurait être qu'un monstre, qui aurait tout lu et tout retenu, une sorte de bibliothèque de Babel ambulante. L'inexistence de ce lecteur idéal condamne d'ailleurs une partie de la littérature à perdre sa dimension intertextuelle.» Intertextualité, disait Julia Kristeva, Sangsue préfère employer la transtextualité que le facétieux érudit Gérard Genette définit comme «tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres textes.» Mais Sangsue complexifie encore en classant «Les Moralités légendaires» de Jules Laforgue (1887) dans la «transformation sérieuse». Difficile d'expliquer les méandres qui le conduisent jusque-là. Goûtons l'expression, elle nous permet de convoquer «Les Moralités légendaires» seul texte qu'il considère comme un classique de la parodie au côté d'«Odes funambulesques» de Théodore de Banville, que l'auteur définissait dans sa préface de 1857 comme «des feuilles volantes abandonnées comme un jouet pour la récréation des premières brises.»
Il faut cultiver un goût certain pour le non-sens, l'absurdité. «Je vois mal Antoine Compagnon ou Marc Fumaroli s'égarer dans ce genre de recherches», sourit Daniel Sangsue. Mais à le lire, on comprend que l'incongru, qui selon Pierre Jourde, «soulage un instant le lecteur et l'écrivain du sens» ne pourrait être la substance même de la parodie, mais doit plutôt surgir, démanger, faire déraper, déranger subitement: «Dans «Macbett» de Ionesco, un limonadier et plus tard un chasseur de papillons traversent la scène en pleine bataille.»
Le texte littéraire qui lui a donné envie d'approfondir ses recherches est «La Passion considérée comme course de côte» d'Alfred Jarry. Une envolée pataphysique qui démarre ainsi: «Barrabas, engagé, déclara forfait. Le starter Pilate, tirant son chronomètre à eau ou clepsydre, ce qui lui mouilla les mains, à moins qu'il n'eût simplement craché dedans - donna le départ.» Cette mécanique huilée et démesurée ne semble pas si subversive puisqu'elle s'inscrit dans un contexte (1903) très anticlérical, montre l'essayiste. Mais le pur délice lexical lui permet de démontrer que la parodie peut se concevoir comme pratique ambivalente «impliquant simultanément une distance critique et une proximité mimétique.» Les ramifications constantes et immodérées de l'essai deviennent passionnantes dans ses sous-bois, lorsqu'un autre auteur apparaît, éclairant de façon quasi insolite: «Loin d'être un rabaissement, une dégradation, la transmutation cycliste peut donc passer par une actualisation de la divinité de Jésus, une nouvelle transfiguration dont le caractère «ascendant» serait confirmé par l'envol final de l'aviateur dont, dix ans après, Apollinaire s'inspire dans son poème «Zone».» En note, Daniel Sangsue en rajoute encore. Si Jarry terminait ainsi: «On sait aussi qu'il continua la course en aviateur... mais ceci sort de notre sujet.» Il renvoie à Charles-Albert Cingria, qui dans «Les beaux engins», s'en sortait avec élégance: «Quelle chance! L'avion par contre peut s'alourdir impunément. Mais cela sort de la question.»
Dans un essai qui ne cesse de valoriser la lecture tout en s'en méfiant, cette phrase de Jules Renard a sa place: «Je lis roman sur roman, je m'en bourre, je m'en gonfle, j'en ai jusqu'à la gorge, afin de me dégoûter de leurs banalités (...)» / ACA
«La relation parodique», de Daniel Sangsue, aux éditions José Corti, 2007