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L'ardeur amère de Juliette Carré

Un garde à l'arrière- scène. Une image «Fantaisie militaire», un album d'Alain Bashung. Eugène Ionesco est un rockeur du verbe. Il a appris le français en écoutant des cassettes. Puis a fabriqué d'énormes rouleaux de langues déstructurés et efficaces. Le garde incarné à merveille par Jacques Echantillon dit tout de l'inclinaison du dramaturge d'origine roumaine pour le bizarre, pour le pouvoir qui déraille, qui bégaye, qui se meurt. Qui se meurt? Le roi. Oui, devant le garde un roi, un comédien absolu, un «anarchiste calme» comme il se qualifie lui-même. «Anarchiviste», aurait écrit Derrida.

18 janv. 2006, 12:00
Le regard de Bouquet

Si juste que l'on pourrait ne rien en dire. Michel Bouquet (photo) joue avec cette foi qui métamorphose le visage, avec cette nécessité qui s'impose dans chaque mot et il n'en laisse rien paraître. Il porte Ionesco jusqu'au sommet de la souffrance de ce roi rongé par la littérature, donc écrivain du doute. Sans aucun doute. Bouquet et Ionesco donnent leur peau pour les planches.

Bouquet offre des étincelles de regard pétillant à la vision de la mort cynique et décalée de Ionesco. Jouissif de voir le comédien en scène se moquer de la faucheuse, la narguer, la convoquer avec le langage, la semer et l'embellir avec cette nonchalance pudique que l'on peut qualifier de marque de fabrique.

Eblouissante Marguerite

Il faut surtout parler de la reine Marguerite, de la cruauté sidérante et si théâtrale de Juliette Carré. Une performance éblouissante de justesse, d'ardeur amère. Une chipie vénéneuse, une femme en bout de course et encore assoiffée par le trône et ses attraits.

On ne savait pas grand-chose de cette comédienne en entrant dans la salle. On entendait vaguement murmurer: «C'est la femme de Michel Bouquet.»

On ressort en ayant la certitude que si la cérémonie des molières ressemblait à autre chose qu'à un affreux miroir de complaisances, elle repartirait évidemment avec une statuette qu'elle mérite plus que le spectacle.

Car si on assiste à un festin de jeu des trois acteurs déjà cités, on reste un peu perplexe devant le travail statique et conventionnel de Georges Werlher. Le metteur en scène semble abasourdi par les comédiens et les regarde évoluer comme un enfant qui vient de recevoir un jouet à Noël. Sa stratégie sur l'échiquier se lit d'emblée.

Stroboscope hideux

Le décor sobre de Pace pourrait être intéressant, mais les lumières ne le valorisent jamais. Seul effet de style proposé par l'éclairagiste Jacques Puisais, un stroboscope hideux et clignotant sur le roi pour symboliser sa folie. Pas de quoi sauter en l'air. Seul élément original dont l'anachronisme correspond à la langue de l'auteur, ce vieux radiateur des années 1960 qui rappelle «La cantatrice chauve».

Les trois acteurs qui complètent la distribution en campant Juliette (Nathalie Niel), Lara Suyeux (la reine Marie), et le médecin (Jacques Zabor) semblent à côté du sujet. Les deux femmes hurlent. Le médecin en fait des tonnes. Jamais ils ne parviennent à écouter cette actrice merveilleuse en reine démoniaque. Les lumières éclairent avec raison Michel Bouquet. En se décalant un peu, elles irradieront Juliette Carré. / ACA

Vu ce dimanche dans une salle comble au théâtre du Passage, à Neuchâtel. A voir encore le dimanche 5 février, à 17 heures, dans la même salle

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