Femme d'images fascinée par la langueur livide de la littérature corporelle de Virigina Woolf, comme elle le montrait dans «Orlando», Sally Potter va encore ailleurs. Elle se glisse ici avec les trois lettres de son titre où les doigts baladeurs de l'amant libanais plus profondément encore dans son désir fulgurant de mots images qui embellissent et salissent comme des acariens (eux aussi personnages du film).
Elle déjoue les pièges d'un scénario sans surprise qui met en scène une scientifique asséchée par le mariage qui rencontre un chirurgien devenu cuistot en exil. Ils s'aiment, c'est impossible. Comme chez William Shakespeare, à qui elle emprunte les pentamètres iambiques ou simplement des vers. Ce dispositif pourrait ailleurs masquer un manque d'envie de cinéma. Mais Sally Potter entasse les obstacles formels, cinématographiques aussi. Elle convoque les ralentis, donne la parole à des personnages secondaires, crée d'incessants oxymores. Alors parfois, comme dans cette scène où dans un laboratoire tout blanc l'amante appelle l'amant qui répond depuis une rue où s'entassent les sacs-poubelles, on commence par pouffer un peu, avant de trouver une réelle émotion dans la collision de deux plans. Comme Marguerite Duras ou Annie Ernaux, Sally Potter raconte une histoire de femme en apparence pure et apeurée. Mais elle cache aussi un monde intérieur qui contamine l'écran avec une lenteur si rare et si nécessaire.
Le mari en costard écoute des riffs de guitares et finit par s'agenouiller devant les dieux rockeux de son délire et devant le vide de sa vie qu'il alimente lui-même. L'amant semble venir d'un monde plus dépouillé, chants de muezzin et bruits de casserole rythment sa vie. Le nouveau couple fonctionne par la grâce intangible de Joan Allen et la fragilité virile et orientale de Simon Abarakian. C'est beau parce que cela prend la peine de respirer la difficulté d'aimer à chaque image. /ACA
Neuchâtel, Bio, 1h26