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Irina Lorez, l'abstraction et l'émotion

08 avr. 2008, 12:00

Deux corps et une vaste toile blanche. Deux combinaisons grises avec des capuchons et un DJ traitant le son comme une matière. Une vaste toile blanche qui lorsqu'on la pénètre avec une extrémité du corps devient prolongement de soi ou étrangeté métaphysique (photographie David Marchon). Dans «Eins», créé ce week-end à l'Espace Danse à Neuchâtel par Irina Lorez ce qui touche le plus c'est le courage de l'abstraction qui ne renie en rien le souffle et l'émotion. Comme les vides dans la poésie de Mallarmé.

La chorégraphe lucernoise pousse très loin son exploration intime, le concassage de soi qui devient source du mouvement sans négliger les technologies d'aujourd'hui. Elle prouve avec sa sensibilité que vidéo et musique electro peuvent servir le propos d'un spectacle tout en intériorité. Les images de la scénographe et vidéaste Erika Wagner interviennent pour reproduire et divaguer, pour isoler les têtes, les mouvements. Soudain on voit deux ?ufs, deux coquillages. Sans dissiper le reste: l'énergie absolue, la bataille des corps, la volonté désespérée de fusionner sans jamais oublier leur propre identité. Fa-Husan Chen amène une manière saccadée et fluide de danser. Ses mouvements extrêmement précis tranchent avec la spontanéité explosive d'Irina Lorez. Cela rend le duo fascinant, sa lente évolution, sa mue, ses transformations incroyablement multiples, comme un kaléidoscope.

On ne s'ennuie jamais, même si les variations ne semblent pas spectaculaires. Une berceuse en mandarin. La puissance délirante des décibels envoyés par Domenico Ferrari font place au presque silence. Les poings resserrés devant le visage semblent se disputer avec eux-mêmes. Tellement de distance et jamais d'autisme. Les lumières cliniques et chaudes de Daniel Schnüriger rythment aussi le spectacle en séquences, en phrases, en scansions. L'importance des costumes dansés conçus par Werner Duss font songer au meilleur de Philippe Découflé.

La toile au centre du plateau devient un matériel que l'on peut manipuler, pousser avec force, sur lequel on peut projeter des ombres chinoises. Amplifier et cacher. Quand les danseuses sortent du cadre, bougent en-dehors, dans l'obscur, cela donne une force insaisissable au propos.

La tension persiste parce que la danse ne s'arrête jamais, traverse toutes les péripéties, est poussée dans les zones les plus complexes du corps. Le musicien lui aussi reste perpétuellement en mouvement, module le son comme si on caressait la tige d'une fleur. On peut percevoir ce spectacle de chambre comme un film d'action du désir. Comme si l'enseveli pouvait d'un coup se dérouler, se développer. Une dissertation pudique et engagée sur l'inavouable. Un voyage dans le détail de la dissection de la croyance en l'éphémère.

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