Humiliation et papier glacé

Il n'y a rien de plus accablant au monde que de devoir faire l'acquisition d'un magazine people. Parce que depuis toujours, vous clamez haut et fort que cet étalage d'inepties est une injure à la mémoire des arbres abattus pour les imprimer. Parce que vous ne vous lassez pas d'ironiser sur ceux qui se délectent – seulement chez le coiffeur, si, si – de ragots et de rumeurs, bêtes selon vous à faire pleurer un bœuf – ô gouffre insondable de l'abyssale stupidité! Vous avez persiflé, vous avez ricané et là, vous devez acheter un magazine people. La honte. Vous élaborez une stratégie d'approche qui épaterait un guerrier sioux, propre à vous éviter l'humiliation. D'abord, vous choisissez un kiosque à l'autre bout de la ville, où vous ne devrez pas retourner de sitôt. Une fois dans la place, vous déambuler avec détachement entre les présentoirs, vous vous approchez subrepticement des torchons à ragots, vous vous emparez vite, vite de l'objet maudit que, paf! vous fourrez entre un «Monde diplomatique» et un «Magazine littéraire». Ouf! Vous ajoutez pour faire bonne mesure un «Philosophie magazine» à la pile, on ne saurait abuser, et foncez vers la caisse avec l'air décidé de celui qui a d'urgence un train à prendre pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Hélas! La maléfique créature en charge de la caisse n'est pas dupe de votre air fuyant et détaille vos achats à haute voix, braillant à l'attention de Jean-Marie, là-bas au fond du magasin: «Wo! Il coûte combien le Paris Match, là, pour la dame?» Damned. Et le billet pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée?