Eclairage: «Penser l’Europe unie au début du 14e siècle»

Des universitaires et des spécialistes nous éclairent sur des sujets d’actualité, de société ou de recherche. Aujourd’hui, Loïc Chollet, docteur en lettres à l’Université de Neuchâtel, évoque Pierre Dubois, juriste au 14e siècle, et sa vision de l’Europe.

06 mai 2020, 17:00
Au 14e siècle (ici un cloître gothique de cette époque), Pierre Dubois proposait d’autoriser le mariage des prêtres, tout en évoquant une Europe unie.

Des tribunaux pour régler les conflits internationaux, la paix entre États européens, une réforme de l’Église et de l’éducation… Voici ce que propose le juriste normand Pierre Dubois, dans les premières années du 14e siècle. De telles idées paraissent de prime abord très novatrices, presque visionnaires. Pourtant, leur auteur est bien un homme de son temps.

Son traité le plus connu, «De la reconquête de la Terre Sainte (1305-1307)», énumère les moyens de reprendre pied au Proche-Orient, après la perte d’Acre (1291). La nécessité d’obtenir de bons spécialistes amène Dubois à proposer des études plus courtes, ouvertes aux femmes et mettant l’accent sur l’apprentissage des langues parlées en Orient. Pour lui, le catholicisme progressera par l’acculturation.

D’autres propositions paraissent plus osées, comme lorsqu’il préconise le mariage chez les religieux, ceci afin de légaliser une pratique cachée mais courante… Car Dubois entend réformer la chrétienté au détriment de la puissance ecclésiastique. Il dédie ses œuvres aux conseillers du roi de France Philippe IV le Bel, alors en plein conflit avec la Papauté, tout en leur recommandant la discrétion sur ses idées les plus explosives.

Les idées de Pierre Dubois s’inscrivent dans le contexte de la fin du Moyen Age.

Considérant que l’administration des biens de l’Église représente une charge pour les prélats, il propose que le riche patrimoine ecclésiastique soit géré par des laïcs. Les évêques, les cardinaux et les abbés seraient chargés d’organiser des conciles, sortes de forums internationaux où les princes chrétiens discuteraient entre eux pour régler pacifiquement leurs conflits. Les réfractaires seraient soumis à la guerre et aux blocages économiques.

Les idées de Pierre Dubois s’inscrivent dans le contexte de la fin du Moyen Age. L’Eglise offre encore un cadre de référence commun, mais la puissance pontificale est contestée par des royaumes de plus en plus unifiés. Nombreux sont les penseurs à réclamer une réforme sociétale, politique et ecclésiastique. Comme d’autres, Dubois souhaite que son roi en soit le fer de lance, ce qui permettrait aux Français de prendre l’ascendant sur les autres peuples.

L’union de l’Europe ne se fait pas selon les termes postulés par notre juriste, et son influence reste somme toute limitée. Néanmoins, au début du 15e siècle, de vastes conciles arbitrent les différends entre pays. De la France à la Pologne, de la Bohême à l’Italie, l’on réfléchit à la cohabitation des États. La croisade est pensée comme un moyen de forcer les Européens à s’entendre, mais l’on tente de circonscrire cette activité à quelques causes perçues comme légitimes.