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Eclairage: «Microtravail sur internet, quand l’abus de confiance devient la norme»

Des universitaires nous éclairent sur des sujets d’actualité, de société ou de recherche. Aujourd’hui, Alaric Kohler, chercheur à la Haute Ecole pédagogique Bejune, évoque les sites de microtravail sur internet.

01 juil. 2019, 14:00
Des personnes travaillent sur internet pour des salaires négligeables.

Dans «Le Monde», la journaliste Laura Motet écrivait récemment qu’en France «plus de 250’00 personnes se connectent occasionnellement sur des sites de microtravail pour réaliser des tâches payées quelques centimes». Les «travailleuses du clic» parcourent la liste des travaux rémunérés du jour, sur une plateforme web: installer un software pour 18 centimes, transmettre ses coordonnées pour une demande de devis auprès d’un réparateur automobile pour 36 centimes, cliquer sur des publicités en ligne ou s’inscrire à des newsletters pour des sommes encore plus dérisoires.

Dans une journée rythmée par les allers-retours matin, midi et soir à l’école, ou par les soins d’enfants en bas âge, la journée de ces femmes ressemblent souvent à une course contre la montre. Le microtravail devant son écran apparaît alors comme une aubaine, permettant de mettre à profit chaque minute, tous ces temps morts d’une journée parfois interminable.

Si certaines se réjouissent de gagner 200 à 300 euros par mois dont elles ont le plus grand besoin, elles se réveillent parfois la nuit pour travailler, ou «profitent» d’être réveillées par leurs nourrissons pour se connecter, quitte à travailler pendant la tétée…

Comment en sommes-nous arrivés là? C’est, en fait, la longue chaîne du faire semblant – ou de l’abus de confiance – qui finit par se mordre la queue. Pour commencer, la publicité arrive en ligne, dans le monde connecté où elle permet comme ailleurs le financement de nombreuses activités. Si les consommatrices et consommateurs sont depuis longtemps habitués à ne pas faire confiance aux publicités qui déclarent n’importe quoi, ceux qui financent ces publicités aimeraient tout de même bien savoir si elles sont efficaces…

L’arroseur finit arrosé, dans ce jeu de dupes qui fait ressembler la révolution numérique bien plus à un esclavage.

Ô miracle du numérique, il suffirait de compter les clics de souris! Or, tant qu’à faire de la publicité pour autrui, les publicitaires peuvent aussi faire de la publicité pour leur propre service, et avec ses propres méthodes: l’abus de confiance. En payant des travailleuses du clic pour cliquer sur des publicités, on peut ainsi montrer à son client que celles-ci sont efficaces… puisque des gens cliquent.

Le client ne saura évidemment pas que ces clics ont été rémunérés, même si ce n’est que quelques centimes. D’ailleurs, «Le Monde» nous révèle que ces employeurs n’hésitent pas à exiger aux travailleuses du clic de ne dire en aucun cas qu’elles ont été rémunérées.

Mais quand tout le monde abuse de la confiance d’autrui pour en faire son business, vous imaginez bien l’efficacité d’une telle exigence. Et c’est là l’ironie de l’histoire: ces femmes qui n’ont ni protection contre le chômage, ni droit à la retraite n’ont pas hésité à en parler à la presse, et l’une d’entre elles a même monté un blog où elle explique… comment tromper son employeur, en créant une seconde adresse courriel, un numéro de téléphone fictif, etc.

L’arroseur finit arrosé, dans ce jeu de dupes qui fait ressembler la révolution numérique bien plus à un esclavage postmoderne qu’à une révolution.

Entre-temps, de nombreuses femmes vivent la perte du sens du travail, le stress en continu, la perturbation du sommeil et l’isolement, et se trouvent contraintes de faire semblant: et ça, c’est bien réel. La déshumanisation est en marche.

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