Las Vegas. Soirée de septembre. Passage aux toilettes d'un grand hôtel-casino. Dans un coin, un cireur de chaussures et son matériel. Ils l'ont caché près des «restroooms», me dis-je. Le vieux Noir - cliché! - m'interpelle. «T'as aucune chance de gagner avec ces pompes.» Comme si chaque client de l'établissement était un joueur invétéré. Bon! Mes mocassins en cuir sont éprouvés. Pas autant que les souliers de Félix Leclerc. «Sur mes souliers y a de l'eau des rochers, d'la boue des champs et des pleurs de femmes.» Les miens, ils sont juste sales. La poussière y a pris ses quartiers.
Le temps de faire mon besoin et de regagner le restaurant. A la sortie, le vieil homme relance. «You can't.» Autant faire le pas. Une première. L'homme étale son matériel. Boîte de cirage, tube de crème et chiffon. Il est intarissable. «Suisse? Vos banquiers ont eu quelques problèmes ici, non?» L'homme en sait davantage que la plupart de ses concitoyens. «Barack Obama? Ils ne l'aiment pas», lâche-t-il avec l'air de celui qui ne croit pas encore qu'il est devenu président.
Le dessert et le café doivent être servis. Qu'importe! Le moment de convivialité ne saurait être abrégé. Une demi-heure d'écoulée. Il a fini son travail. Le tarif est de 7 dollars. Vas pour 10. «Merci pour la conversation», lâche-t-il en serrant la main de celui qui n'a fait qu'écouter. Au final, je n'ai pas vérifié que mes pompes rutilantes me porteraient chance.