La mécène précise ensuite qu?il s?agit d?une action caritative au Great Hall Lincoln?s Inn de Londres. «Cet endroit dans lequel les juges et avocats anglais les plus importants sont passés». Un bâtiment qui date du XIVe siècle. «J?ai vu l?image sur internet et je me suis dit: C?est impossible, incroyable, elle me fait confiance, alors qu?il y a de magnifiques fleuristes à Londres». La mécène, établie en partie à Neuchâtel, lui laisse carte blanche avec une seule restriction: les fleurs doivent dégager un minimum d?odeurs et aucun pollen, le chanteur José Carreras l?exige.
«Quelques minutes avant le début, nous étions devant la salle. Et d?entendre les gens, surpris et ravis, m?a rassurée. Mais j?ai eu des moments de panique». Son nom figure en bonne place dans la rubrique «remerciements» de la plaquette de la soirée et lorsque l?organisatrice a cité son nom, «j?étais au bord des larmes. J?ai croisé mes mains noires». Ses mains noires, Karin Maurer les montre. Elle avait peur de ne pas être à l?aise avec barons et princesses, «c?est un autre monde». L?ancien premier ministre britannique John Major était présent, sa femme Norma étant vice-présidente de la fondation qui aide à la réinsertion professionnelle des handicapés mentaux.
«Nous sommes allés à Londres trois fois avant cette dernière semaine». Il s?agissait de trouver les bons fournisseurs dans les bourses aux fleurs. Nous? «Avec Dave Brooks, il ne veut pas l?entendre, mais sans lui, je n?aurais rien pu faire». Ils préviennent les deux fournisseurs choisis que la commande serait conséquente. «Mais quand j?ai commandé 6000 tiges mi-novembre, ils ont vraiment compris que c?était une grande soirée!», sourit Karin Maurer.
Son choix s?est fait en fonction de la saison et de la couleur de la salle. Les fleurs sont donc rouges, blanches, saumon, crème. On trouve du houx, des roses ou du lys. «Vu la taille de la salle, nous avions besoin de grands pots. Nous les avons trouvés en Allemagne, au mois d?août». Des pots Medicis, normalement en fonte, «nous les voulions plus légers pour le transport. Il s?agit donc d?imitation en microfibres». Bougeoirs, chandeliers, Karin Maurer s?est occupée de tout pour les dix-sept tables à deux arrangements chacune. Les serveurs en habits noirs et gants blancs se sont activés pour plus de 200 convives.
De l?extérieur, le Great Hall ressemble à une église. Ils l?avaient visité en mai, admiré les boiseries, les tableaux et les fauteuils de cuir rouge. «Nous avions noté la hauteur du plafond, entre 12 et 15 mètres. J?ai créé trois arrangements énormes. Sur un socle à 90 centimètres, ils atteignent 2m10, mais sont proportionnés à la salle». Tout est pensé, réfléchi. Ainsi, les 400 bougies disposées sur les tables reposent dans des verres teintés de rouge amenés de Suisse.
Comme il se doit, le carton d?invitation précisait le code vestimentaire «Black tie» ? costume noir ? pour les hommes et «pearls and plumage», ? perles et plumes ? pour les dames.
De Worben, près de Bienne, Karin Maurer est arrivée en 1995 à Neuchâtel. Elle le jure, jamais elle n?avait pensé se retrouver dans ce rêve éveillé, dans ce conte de fées. Et tant pis si elle a oublié les mets, «c?était tellement intense!» / JLW