Le repli des forces russes laisse des scènes de crimes à ciel ouvert dans les rues des dernières villes libérées, telles que de Boutcha et Irpin. Les enquêteurs ont commencé un minutieux travail d’investigation pour reconstituer les faits, identifier les auteurs et les donneurs d’ordre afin de traduire ces actes sur le plan pénal. Une tâche essentielle pour savoir s’il est possible d’invoquer des crimes de guerre ou contre l’humanité, ou un génocide (voir ci-dessous).

La machine judiciaire n’a pas attendu la découverte récente de carnages pour se mettre en marche. Les enquêtes ont été lancées dès les premiers jours de la guerre: la Cour pénale internationale (CPI) et la procureure de l’Ukraine ont enclenché le processus début mars déjà.

La justice nationale et internationale a besoin de temps pour travailler autour des éléments de preuve.

Sévane Garibian, professeure de droit aux Universités de Genève et Neuchâtel

«Il y a actuellement une cartographie incroyable à ce niveau: les enquêtes sont simultanément menées par l’Ukraine, des Etats tiers, la CPI, et prochainement par une commission de l’ONU», apprécie Sévane Garibian, professeure de droit aux Universités de Genève et Neuchâtel, spécialiste du traitement juridique des crimes de masse, avant de tempérer: «La justice nationale et internationale a besoin de temps pour travailler autour des éléments de preuve.»

Une récolte précoce

Les ONG, les polices nationales, les services de renseignement, les forces armées, les Nations unies ou encore les journalistes se sont engagés précocement dans la récolte de ces informations, tant sur le terrain qu’à l’étranger. La rapidité de la réaction permet de collecter les données «à chaud» et en nombre.

L’immédiateté et la multiplicité des éléments d’informations qui circulent sont très frappantes dans le cadre de cette guerre», convient la professeure. «Le problème, c’est le traitement de toutes ces données et leur préservation. Encore faut-il les passer par le filtre de la vérification et du traitement analytique pour préparer des dossiers d’accusation.»

Prenons l’ONG Amnesty International: elle a pu documenter et dénoncer rapidement les frappes sur des hôpitaux et des écoles et l’utilisation d’armes interdites, mais aussi les exécutions sommaires et les actes de torture.

«Au début du conflit, nous avons fait la récolte de témoignages par téléphone», souligne Nadia Boehlen, porte-parole d’Amnesty International Suisse. «Depuis quelques semaines, nous avons en Ukraine une équipe spécialisée dans l’investigation en zone de crise. Comme elle est autorisée à travailler par les autorités, sa tâche est plus facile qu’en Syrie par exemple où tout se fait dans l’ombre.»

Laboratoire d’analyse

Sur le terrain, les ONG recueillent principalement les témoignages précis de personnes qui ont vu ou subi les violences, en insistant sur le recoupage des informations. Leurs équipes récoltent aussi des photos de blessures, de destructions et de débris d’armes, qui sont ensuite analysées.

«Les acteurs non gouvernementaux doivent être bien formés car s’ils prennent des témoignages qui ne sont pas fiables, ou que les bonnes questions ne sont pas posées, ces déclarations pourraient être utilisées par des avocats de défense le jour où il y aura des procès», avise l’avocat Alain Werner, directeur de l’ONG Civitas Maxima, à Genève, spécialisé dans la défense des victimes de conflits armés.

Les récits recueillis par Amnesty International sont croisés avec la partie digitale de l’investigation assurée par l’Evidence Lab depuis Londres. Ce laboratoire de recherche de preuves créé en 2014 est composé d’experts en armement, de spécialistes des données visuelles en open source, de la télédétection, des données… Il passe au crible les photos et vidéos de frappes aériennes ou de débris d’armes – surtout celles postées sur les réseaux sociaux – mais aussi les images satellites. «Ces spécialistes sont capables de reconnaître par exemple les armes utilisées en fonction des blessures», illustre Nadia Boehlen.

Bourreau de Boutcha déplacé dans le Donbass

Les rapports produits par les ONG sont des éléments sur lesquels la justice internationale peut s’appuyer. «Les ONG sont d’une grande aide, mais à terme, ce sont les bureaux des procureurs qui vont passer au crible les preuves pour assurer leur force devant une juridiction», relativise Sévane Garibian. «La qualité du travail produit est déterminante pour construire des dossiers d’accusation solides qui permettront l’émission de mandats d’arrêt. Il faut vérifier dans un contexte judiciaire les éléments d’informations, leur source, leur fiabilité, pour en faire des preuves.»

Prouver qu’un crime a eu lieu est une chose. Identifier les auteurs et les donneurs d’ordre est une tâche bien plus complexe, même si, à l’heure du numérique, les enquêteurs de tous poils cherchent à donner un coup de main. Le bourreau de Boutcha aurait été débusqué sur les réseaux sociaux par un journaliste ukrainien. Il s’agirait du lieutenant-colonel dirigeant la 64e brigade de fusiliers motorisés qui est restée plus d’un mois sur place. Il sévirait dans le Donbass désormais.

Guerre en Ukraine: Kiev a ouvert 5600 enquêtes pour crimes de guerre russes

La procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova a annoncé dimanche que 500 criminels de guerre russes avaient été identifiés. Elle a notamment pris l’exemple du bombardement de la gare de Kramatorsk.