Armés de mitrailleuses légères, les grenadiers de chars sortent de leurs véhicules de combat et sécurisent les flancs. Avec une grue, les soldats du génie lèvent rapidement les obstacles de bois qui entravent la piste. Puis les fameux chars Léopards 2 font leur apparition, dans un formidable fracas.

Commandant de la place d’armes, le colonel d’état-major général Hans Jörg Diener sourit: «Nous exerçons la coordination. Sans escorte, les chars de combat sont très vulnérables, surtout s’ils sont forcés de s’immobiliser. Le plus important, c’est le mouvement.»

Les chars de combat Léopard 2 sont un héritage de la guerre froide mais ils ne sont pas vieux.

Hans Jörg Diener, colonel d’état-major général

Pour la huitième semaine consécutive, c’est à Thoune que se forment les recrues destinées à utiliser ces monstres d’environ 60 tonnes, qui peuvent dépasser les 70 km/h sur les routes, et les 45 km/h en terrain accidenté. Ils peuvent combattre jours et nuit des buts fixes ou mobiles distants de quatre kilomètres.

A partir de 1987, la Suisse en acheté 35 à l’Allemagne, et en a produit elle-même 345 sous licence pour un total de 3,365 milliards de francs. «Les chars de combat Léopard 2 sont un héritage de la guerre froide mais ils ne sont pas vieux. Ils ont été mis à jour très régulièrement», souligne le colonel Diener.

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«Le meilleur char de combat»

Le Léopard 2 a été conçu dans les années 1970 pour surclasser le char soviétique T-72. Déclinés en de multiples versions, plus de 3200 exemplaires ont été produits entre 1979 et 2007. Ils ont notamment été engagés en Afghanistan par les Danois et les Canadiens, et en Syrie par les Turcs. Pour Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée française devenu écrivain, «le Léopard 2 est actuellement le meilleur char de combat opérationnel».

Le Léopard 2 peut changer le cours de la guerre.

Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée française

L’auteur de «Vent glacial sur Sarajevo» analyse: «Produit en série, il a atteint une maturité technique et industrielle inégalée. Il est même plus fiable que les chars américains, qui posent des problèmes de maintenance parce qu’ils sont trop sophistiqués». Il en est convaincu: «le Léopard 2 peut changer le cours de la guerre.»

Au moins quatorze chars Léopard 2 livrés par la Pologne se trouvent déjà en Ukraine. Si l’OTAN entretient le flou sur les chiffres et les dates, tout indique que l’armée ukrainienne disposera d’au moins 36 chars de ce type dès ces prochains jours. Ils proviendront aussi du Canada, de la Norvège et de l’Espagne. Très attendus, ils devraient participer aux offensives annoncées par les Ukrainiens pour ce printemps.

Le prédateur du T-72

Historien et ancien commandant en second d’une brigade mécanisée, Alexandre Vautravers a servi durant trente ans dans ces chars qui s’apprêtent à affronter des engins de conception soviétique. Il compare: «Le blindage du T-72 et de ses successeurs sont vulnérables aux obus flèches. Les munitions stockées dans leur tourelle représentent un risque fatal et ils ne peuvent pas vraiment combattre en mouvement parce qu’ils sont trop lourds et manœuvrent très mollement.»

Ce serait une erreur stratégique d’en vendre ou d’en liquider.

Alexandre Vautravers, historien et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse

Il poursuit son analyse: «Le Léopard a été conçu pour observer et tirer tout en roulant et peut mener de vraies offensives. Ses optiques stabilisées et sa précision sont meilleures en mouvement que celles du T-72 à l’arrêt». Il insiste: «Ces chars représentent un capital de défense important et tous les projets européens pour le futur prendront beaucoup de temps et se basent sur leurs châssis actuel. Ce serait une erreur stratégique d’en vendre ou d’en liquider.»

Carro armato schiaccia un’automobile, Demo19 © VBS/DDPS

Les chars Léopard 2 pèsent une soixantaine de tonnes.
Photo: VBS / DDPS

La Suisse veut garder ses chars

Aujourd’hui, la Suisse dispose encore de 230 chars Léopard 2. 134 ont été modernisés et servent régulièrement. 96 autres ont été stockés et constituent une réserve stratégique. Il y a quelques années, l’état-major souhaitait s’en débarrasser. Dans le contexte actuel, même si la ministre de la Défense Viola Amherd et son chef de l’armée Thomas Süssli affirment qu’ils peuvent se passer de certains d’entre eux, de nombreux militaires pensent le contraire.

Au moment où l’Europe se réarme tout en expédiant ses stocks en Ukraine, la Pologne, l’Allemagne et la Tchéquie ont fait part de leur intérêt pour les chars inutilisés de la Suisse. Mais tout indique que la Confédération refusera. Le gouvernement défend une ligne très stricte sur les exportations d’armes. Au Parlement, les sénateurs ont déjà écarté cette possibilité en commission.

A Thoune, les charistes ne peuvent pas exploiter tout le potentiel du Léopard 2. Pour garantir la sécurité des riverains de la place d’armes, et pour limiter le bruit, ils tirent des munitions de calibres réduits, sur des cibles situées à une distance maximale de 900 mètres.

Pour utiliser leurs plus gros calibres, ils se rendent dans les montagnes, et pour des mouvements plus amples, ils s’entraînent à Bure, dans le Jura. La formation s’étale sur 18 semaines. Pour le colonel Diener, «notre mission reste défensive. Nous préparons les pires scénarios et nous espérons qu’ils ne se réaliseront jamais».

Formation accélérée

Afin de ménager à la fois le matériel et l’environnement, les charistes s’exercent beaucoup dans des simulateurs qui reproduisent fidèlement l’intérieur du char. Les scénarios incluent aussi des populations civiles et permettent des duels entre les équipages de quatre soldats.

Toutes les données sont enregistrées. Le colonel précise: «Les instructeurs peuvent corriger les erreurs récurrentes de chaque recrue. Nous entretenons une culture du dialogue pour nous améliorer.»

Nous préparons les pires scénarios et nous espérons qu’ils ne se réaliseront jamais.

Hans Jörg Diener, colonel d’état-major général

Il y a quelques jours, une cinquantaine de soldats ukrainiens ont quitté l’Espagne pour rejoindre le front après une formation accélérée d’un mois sur ces engins. Selon leur instructeur espagnol, «ils ont acquis une connaissance plus qu’acceptable», et «ils affirment que ces chars sont supérieurs» aux tanks qui ont combattu dans les deux camps jusqu’ici.

Pour Hans Jörg Diener, «même s’ils sont habitués à des modèles soviétiques, des charistes expérimentés peuvent se former très rapidement au maniement du Léopard 2.»

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