Contrairement à ce que les médias peuvent véhiculer comme croyances, les réseaux islamiques des Etats du Golfe et d’Afrique du Nord auraient perdu de leur influence sur les communautés musulmanes arabophones en Suisse. C’est une étude du Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg publiée récemment qui le démontre.

Pour arriver à cette conclusion, l’équipe de recherche a examiné des débats médiatiques et politiques, et réalisé sept études de cas de lieux de culte situés à Zurich, Bâle, Berne, Delémont, Lausanne et Genève. Elle s’est basée sur des archives ainsi que sur quarante entretiens. Le professeur Hansjörg Schmid, premier auteur de cette recherche, revient sur ses enseignements.

Les communautés musulmanes de Suisse sont parfois présentées comme des marionnettes de réseaux externes. C’est une image complètement fausse, indique votre recherche…

Hansjörg Schmid: En effet, elle démontre que les réseaux transnationaux ont joué un rôle important à un moment donné dans la construction du paysage associatif musulman en Suisse. Ça a été le cas en Suisse romande surtout où des acteurs, originaires d’Egypte notamment, ont développé les premières institutions liées aux Frères musulmans. Saïd Ramadan par exemple a fondé en 1961 le Centre islamique de Genève, une des premières mosquées en Suisse.

Quelle a été leur évolution?

Ces réseaux de départ ont eu un espace d’épanouissement limité en raison de la diversification de la population musulmane suisse. Avec l’arrivée d’une population des Balkans et de Turquie, l’énergie s’est plutôt tournée vers la fédération des diverses communautés. Depuis les années nonante sont apparues des associations faîtières regroupant des groupes de différentes origines ethniques et linguistiques. Ce sont elles qui sont devenues les interlocutrices avec les autorités.

Vous avez étudié la minorité arabophone. Comment se caractérise-t-elle?

Nous parlons ici de la communauté musulmane arabophone composée par des personnes qui viennent du Moyen-Orient (4,2% des musulmans de Suisse), du Maghreb (3,2%) et d’Afrique subsaharienne (2,6%). La majorité des musulmans de l’étranger en Suisse ont immigré des Balkans (34,8%) et de Turquie (10,4%). La minorité arabophone, organisée autour de 45 organisations islamiques, c’est donc moins de 10% des 500 000 musulmans en Suisse.

La minorité arabophone a un intérêt marqué pour la vie politique et religieuse helvétique.

Hansjörg Schmid, chercheur au Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg

Quelle est son influence?

Il s’agit d’une petite communauté qui est toutefois assez visible car elle est composée de personnes avec un capital social élevé. Des personnes très bien formées, avec de bons réseaux et qui assument des positions clefs dans les associations. Le qualificatif arabophone doit être questionné aussi car ces personnes sont bien souvent tout autant francophones et très bien intégrées au contexte social suisse, et elles ont un intérêt marqué pour la vie politique et religieuse helvétique.

Qu’est-ce qui indique la perte d’influence des réseaux transnationaux?

La Ligue des musulmans de Suisse, association établie dans le canton de Vaud et proche des Frères musulmans, comptait représenter et réunir les musulmans au niveau suisse au moment de sa formation. Elle est restée une structure de 150 à 200 membres. Par contraste une association faîtière comme l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM) regroupe aujourd’hui une quinzaine d’associations et s’est imposée comme relais avec les autorités. De manière générale, la présence d’associations faîtières multi-ethniques, qu’on observe dans les cantons de Vaud, Fribourg, Neuchâtel et Genève, indique cette tendance à l’organisation au niveau local.

De manière générale les centres se financent principalement par le biais des cotisations de membres.

Hansjörg Schmid, chercheur au Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg

Vous avez repéré des financements en provenance du Golfe…

De manière générale les centres se financent principalement par le biais des cotisations de membres. Ce qui n’exclut pas, dans quelques cas, des donations ponctuelles de particuliers venant de pays du Golfe et qui fréquentent l’un ou l’autre centre. Cette tendance de déclin des liens avec les réseaux transnationaux, que je décris, n’est pas univoque et elle n’exclut pas leur persistance dans certains cas, à l’exemple de liens avec Yusuf al-Qaradawi, théologien de référence des Frères musulmans. Après, c’est un phénomène que l’on retrouve aussi chez les orthodoxes et qui n’est pas propre à la communauté musulmane.

Qu’en est-il à Genève?

L’exemple de la mosquée du Petit- Saconnex, qui a fait couler beaucoup d’encre, est éloquent. Des fonds d’Arabie saoudite avaient servi à financer le bâtiment ainsi que l’achat d’appartements devant permettre de générer des bénéfices afin de couvrir les frais de gestion et les salaires des responsables du lieu de culte. Eh bien, nous avons constaté qu’il s’agit d’une mosquée qui reste un élément étranger dans le paysage genevois et suisse. Elle n’a pas gagné en influence ou fédéré les musulmans du canton.

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