L'existence d'un festival de films de femmes est-elle encore justifiée aujourd'hui?
Malheureusement, les choses n'ont pas tellement évolué. A Cannes, par exemple, une seule femme a remporté la Palme d'or en soixante ans, à savoir Jane Campion en 1993 avec «La leçon de piano». Les réalisatrices n'ont pas l'interdiction de s'inscrire, mais par le biais du réseau de relations hommes-hommes dans la profession, il y a une sorte de consensus autour de certains auteurs dont les femmes ne font pas partie. Beaucoup de films choisis ne sont pourtant pas renversants.
Le problème est-il identique au niveau de la production?
Les femmes ont acquis un certain nombre de droits en Europe leur permettant d'accéder aux écoles ou aux moyens de production. Mais dans la mesure où il existe plus de décideurs que de décideuses, les femmes ne sont pas aussi bien aidées. Les sujets qu'elles choisissent ne répondent pas aux critères économiques d'aujourd'hui. Ce ne sont pas des films d'action. Les réalisatrices écrivent des scénarios personnels, assez autobiographiques. Après des générations de silence, elles éprouvent surtout le besoin de s'exprimer.
Les films de Sofia Coppola auraient-ils été possibles il y a trente ans?
Non. Il y a trente ans, elle n'aurait pas trouvé de fonds. Mais Sofia Coppola reste quelqu'un qui a beaucoup de chance. Elle est bien placée, son père étant réalisateur et producteur. C'est exceptionnel. Même Jane Campion n'a pas autant de moyens.
La contribution des femmes à l'industrie cinématographique a-t-elle fait aussi évoluer le regard des réalisateurs?
Les hommes sont en retard. Ils reportent à l'écran une image de la femme qui est vieillotte, qui est un fantasme. Les personnages que les réalisatrices mettent en scène, eux, sont en prise avec la réalité. Néanmoins, certains réalisateurs sont dans l'actualité, par exemple Pedro Almodovar ou Jean-Pierre Bacri. Mais cela prend du temps. Ces représentations touchent à des siècles de tradition.
Comment percevez-vous les célébrités répondant aux fantasmes masculins, telle une Penelope Cruz?
Je ne vois pas ça négativement. Il y a une part de rêve qui permet à des femmes de s'identifier à quelque chose d'un peu plus transcendant que leur quotidien. On a besoin de cette irréalité. Mais il faut aussi des personnages comme Susan Sarandon ou Jodie Foster qui nous ancrent dans la réalité sans se dire «on est de la merde».
Y a-t-il aussi une évolution dans les thèmes ?
Les thématiques des femmes, qui ont abordé des sujets assez tabous ces trente dernières années, comme le viol, ont influencé certains cinéastes. Le Roumain Cristian Mungiu, qui a remporté la Palme d'or l'an dernier, s'est autorisé à traiter de l'avortement parce que les réalisatrices l'ont convaincu que ce thème n'est pas qu'un problème de femmes.
Le cinéma au féminin a-t-il changé le statut de la femme?
La condition de la femme s'est relativement améliorée en Europe, mais pas du tout en Chine, en Afrique et en Asie. Avec les Jeux olympiques, il va falloir se bagarrer pour les Chinoises.
Quel avenir pour l'image de la femme?
C'est en régression. La flambée du féminisme a forcé à se pencher sur la place des femmes, mais c'est en train de retomber complètement. Par ailleurs, aujourd'hui tout est formaté. Les codes de réalisation sont commandités par les producteurs. Il y a peu de liberté d'expression pour les indépendants. /CBR