Le premier procès pénal du Mediator, un médicament accusé d'avoir déjà causé des centaines de morts en France, reprend mardi près de Paris. Quelque 700 parties civiles demandent réparation devant le tribunal correctionnel pour "tromperie aggravée".
Elles reprochent à Jacques Servier, 91 ans, fondateur des laboratoires du même nom qui ont commercialisé le Mediator, de les avoir "délibérément" trompées sur la composition de ce médicament. Celui-ci est destiné aux diabétiques mais il est largement prescrit comme coupe-faim.
Ils n'auraient pas été informés de "la nature anorexigène" de son principe actif, le Benfluorex. Ce dernier larguerait dans l'organisme une substance toxique, la norfenfluramine, molécule très proche de l'amphétamine qui provoque des hypertensions artérielles pulmonaires et multiplie par trois le risque de valvulopathies (dysfonctionnement des valves cardiaques).
Me Charles Joseph-Oudin, conseil d'une centaine de parties civiles à Nanterre, espère que "les Laboratoires Servier n'essayeront plus de mettre des bâtons dans les roues de la machine judiciaire".
Haute juridiction
Le procès, débuté le 14 mai 2012, avait immédiatement tourné court. Le tribunal avait accepté de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), soulevée par la défense.M. Servier contestait qu'il puisse être jugé à Nanterre, dans la banlieue parisienne, alors qu'il est parallèlement mis en examen pour des faits similaires à Paris. La haute juridiction a toutefois refusé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel.
Bataille procédurale
Pour Me Juliette Nattier, conseil d'une trentaine de victimes présumées, "il y a un risque que l'affaire ne soit encore pas jugée au fond cette fois-ci". La défense de Servier va engager une nouvelle bataille procédurale à l'ouverture des débats, susceptible d'entraîner un nouveau renvoi du procès.
"Nous souhaitons qu'une expertise judiciaire autonome soit faite à Nanterre ou à défaut la communication de tous les éléments recueillis dans le cadre des expertises en cours à Paris", indique Me Hervé Temime. L'avocat va aussi demander "un complément d'information permettant au tribunal d'apprécier le rôle des autorités sanitaires dans la tromperie dénoncée à Nanterre".
Documents internes
L'Agence du médicament a été mise en examen en mars dernier pour "homicides et blessures involontaires", les juges d'instruction parisiens la soupçonnant d'avoir négligé les alertes sur la dangerosité du Mediator. Interrogé sur la présence de Jacques Servier à l'ouverture des débats, son conseil n'a pas souhaité répondre.
De leur côté, les parties civiles disposent de plusieurs pièces maîtresses comme des documents internes de Servier et les annexes du rapport accablant de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Selon l'Igas, le retrait du Mediator "aurait pu être décidé dès 1999", soit dix ans avant sa disparition du marché.
Nombreux décès
Jacques Servier, ainsi que les quatre anciens cadres de Servier et sa filiale Biopharma jugés à ses côtés à Nanterre, encourent quatre ans de prison et une amende de 75'000 euros (94'000 francs). Servier et Biopharma, en tant que personnes morales, risquent une amende de 375'000 euros (468'000 francs) ainsi qu'une interdiction d'exercer.
D'après diverses études, le Mediator a déjà provoqué plusieurs centaines de décès en France, même si leur nombre exact reste difficile à évaluer. Selon un rapport d'experts judiciaires rendu public en avril, ce médicament, commercialisé de 1976 à 2009, pourrait à long terme causer en France entre 1300 et 1800 morts par valvulopathie.