Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Le passement de jambes de Zidane pour théoriser la pensée d'Heidegger

Le philosophe français Mehdi Belhaj Kacem signe un texte érudit et surprenant pour le livre illustrant l'exposition neuchâteloise «Accélération». Entretien. Aux halles de karting de Serrières, ce soir on lance le livre «Accélération». Lancer: ce verbe de mouvement prend tout son sens dans la propulsion de matière proposée par cet objet d'art. Un livre conceptuel, qui traite le texte comme un matériau, de la glaise, l'oscillation d'une fréquence. Esthétisme du collage. Une proposition qui ne pouvait que séduire l'écrivain et philosophe Mehdi Belhaj Kacem, qui livre une contribution érudite, pop et provocante à plusieurs vitesses. Entretien avec ce penseur atypique, qui se bat contre la nouvelle philosophie d'André Glucksmann ou Alain Finkielkraut et défend le dernier philosophe maoïste de France, Alain Badiou, avec vigueur.

10 juin 2007, 12:00

Votre texte très dense semble détourner la commande de Kunstart en proposant des pistes de réflexion érudites mais surprenantes, qui jouent avec la notion de rythme? Tout de suite le sujet d'«Accéleration» m'a semblé intéressant, mais je voulais me méfier de propos trop modernistes ou trop nihilistes. La réflexivité décalée me permet de me différencier du discours sous-jacent et d'ancrer les choses dans leur durée.

Lorsque la philosophie contemporaine aborde les questions de vitesse on pense à Gilles Deleuze. Vous choisissez de présenter aussi les pensées d?Alain Badiou et de Martin Heidegger... Tout tournoie tout le temps. On peut rattacher la vitesse à Deleuze, la lenteur à Heidegger et l'immobilisme à Badiou. Je place Martin Heidegger entre les deux parce que son être est plus lent que le virtuel de Deleuze et plus rapide que l'être mathématisé de Badiou. Du coup, son événement est plus rapide que celui de Deleuze et plus lent que celui de Badiou.

La philosophie de Deleuze permet-elle de comprendre l?art d?aujourd?hui? Deleuze permet de décrypter à merveille la peinture de Francis Bacon et ses textes sur l'image éclairent énormément. Le monde de l'art le cite, le lit, mais ne le comprend pas toujours. Ce sont aussi les effets de copénétration entre la mode et le marketing. A l'inverse, j'aime particulièrement les visions modernistes et éternisantes de l'artiste Thomas Hirschhorn.

Vous avez joué dans «Sauvage innocence» le rôle de Philippe Garrel, un cinéaste très axé sur ses histoires personnelles et avez participé à la reconstitution contemporaine de «La maman et la putain» de Jean Eustache. Quels rapports avec le philosophe? Lorsque j'ai commencé ma carrière de romancier, j'étais fasciné par le rituel, l'expérience, et consciemment je me rapprochais d'objets artistiques proches de la téléréalité, mais géniaux de modernité comme «ExistenZ» de David Cronenberg. Nous avons d'ailleurs nommé une revue ainsi. Je continue à trouver chez Philippe Garrel, Jean Eustache ou Arnaud Desplechin une transparence courageuse. Mais je choisis aujourd'hui de m'orienter plus clairement vers la philosophie antiphilosophique de Badiou et de me préoccuper moins de mon reste de romantique surréaliste, ce qui se solde par une vie assez ennuyeuse, même si je continue à me nourrir de l'art.

Vous aimez aussi dissimuler dans vos textes rigoureux des références à Monica Bellucci ou Zinedine Zidane? Oui, c'est une manière de donner des exemples qui parlent à tout le monde. Dans le film sur Zidane de Douglas Gordon et Philippe Parenno, on s'ennuie toute la première mi-temps, avant ce passement de jambe génial qui dure dix secondes. J'aime le football défensif italien parce qu'il permet de comprendre pourquoi ce pays est si cruel avec ses artistes. J'ai failli me faire lyncher dans mon village parce que, pendant la finale de la Coupe du monde, je portais un maillot de Del Piero.

Vous dites que si l?événement littéraire de 2006, «Les Bienveillantes», se réfère à 1936 cela signifie qu?il ne se passe rien aujourd?hui? Je ne conteste pas le talent de Jonathan Little, mais je constate que l'expérience de la non- expérience domine tout. Cela peut être remarquable chez Bret Easton Ellis, mais se révèle très triste lorsque les «nouveaux philosophes» soutiennent la guerre en Irak. On refuse d'assumer la dimension tragique, alors que de nombreuses régions humaines sont à feu et à sang. Pour qualifier la politique internationale américaine, un de mes amis parle «de délocalisation de la torture», je trouve cela juste. En France, le nihilisme démocratique devient une fatalité, on vit à l'ombre des grands crimes d'Etats. / ACA

Neuchâtel-Serrières, halles de karting, samedi 9, à 19 heures, avec Mehdi Belhaj Kacem, Gaspard Buma, Joël Vacheron et Patrick Weidmann
Votre publicité ici avec IMPACT_medias