«Ils n'ont plus confiance.» Depuis le séisme et le raz-de-marée qui ont frappé le Japon et touché la centrale nucléaire de Fukushima le 10 mars dernier, la population nippone est plongée dans la crainte et l'incertitude, explique Roland Desbordes, président de la Criirad (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité). Au moment où le patron de la compagnie Tokyo Electric Power (Tepco), l'opérateur en charge de la centrale de Fukushima, annonce son départ, la Criirad s'apprête, elle, à envoyer, lundi, une équipe sur place.
«Les gens ne croient plus leurs autorités et encore moins les exploitants de centrales. Il y a eu trop d'infos mensongères et tronquées», explique Roland Desbordes. «Nous avons eu des contacts avec des personnes vivant dans des régions situées entre 30 et 150 kilomètres de la centrale. Des expatriés, des couples franco-japonais mais aussi des Japonais sans liens particuliers avec la France. Face au manque d'informations, les gens ont fait des recherches sur internet et sont tombés sur notre travail. Fin mars, lorsque notre site affichait des centaines de milliers de visites, nous avons constaté que les Japonais étaient le deuxième groupe de visiteurs le plus important après les Français.»
Les gens veulent savoir ce qu'ils mangent
Les deux membres de la Criirad qui se rendront au Japon lundi seront équipés de matériel de protection, d'un mini-laboratoire, d'un équipement de spectrographie, ainsi que d'appareils de mesure de la radioactivité ambiante. «Nous prendrons aussi des compteurs Geiger. Etrangement, il semblerait presque impossible de s'en procurer au Japon», note Roland Desbordes. «Les gens veulent connaître la situation là où ils vivent. Savoir ce qu'ils peuvent manger ou non, ce qu'ils risquent.»
Sans vouloir dissimuler son arrivée aux autorités locales, la Criirad n'a pas cherché à faire de publicité autour de sa mission nippone. «Nous sommes en train d'annoncer notre voyage», note Roland Desbordes. «Nous ne souhaitons pas avoir à faire face à des embûches administratives. Nos expériences passées nous ont montrées que la Criirad n'était, de loin pas, toujours la bienvenue.» Au Niger, pays au sous-sol riche en uranium, les gendarmes français de l'atome se sont ainsi vus confisquer tout leur matériel. En Biélorussie, d'autres tracasseries administratives les avaient ralentis. «Là où l'on dérange, où des intérêts français sont présents, où des sociétés engagées dans l'extraction d'uranium sont actives, les problèmes sont toujours plus nombreux.»
Dangereuse accumulation
L'escapade nippone de la Criirad lui permettra, par ailleurs, de compléter les données qu'elle a déjà récoltées via diverses sources d'information. «Les autorités parlent de situation stabilisée», glisse Roland Desbordes. «Mais des rejets dans l'atmosphère ont toujours lieu. Les balises américaines, dont nous avons pu avoir les données, le prouvent. Les doses qui atteignent les Etats-Unis sont certes faibles, mais l'accumulation pose, elle, de vraies questions. Au Japon, par chance pour la population, les vents éloignent les rejets vers le Pacifique.» Un pacifique qui ne cesse cependant d'engloutir des tonnes d'eaux contaminées. «La pêche est condamnée pour une période minimale de 10 ans. Et pour le reste, même si l'océan est immense, on ne sait pas vers quoi l'on se dirige.»