Je demande à un ami de quoi je devrais parler dans cette chronique. Sa réponse fuse: tu devrais nous dire ce qu’il reste de la vérité et si le mensonge n’est pas en train de l’emporter.

Rien de cynique dans cette réaction. Le relativisme menace de partout, et le mensonge semble être devenu la panacée.

Tout ramener aux réseaux sociaux est bien trop simple. Nous vivons en fait une crise terrible de la vérité. Cette crise traverse tous les domaines de la vie sociale et personnelle.

Crise de la vérité politique: les 12 candidats à la présidentielle française se sont jetés à la tête des anathèmes illimités. Il n’y a plus de vérité des chiffres, des intentions, des projets, comme on l’a vu lors du débat du second tour. Tout n’est que relativisme!

Crise de l’histoire, les fake news déferlent sur nous sans que nous donnions les moindres outils pour en déjouer les mensonges.

Crise de la vérité suscitée par la pandémie, avec le défilé des faux-semblants, des antivax comme des partisans de la santé publique, la science elle-même semble avoir perdu toute crédibilité. Comment surmonter ce relativisme délétère?

Crise de la paix comme vérité universelle et victoire de la guerre comme répétition cruelle. Crise de l’Histoire, du rapport au passé, des traditions, de l’expérience confiante en la vérité historique, élaborée par le cercle fiable des historiens de métier.

Triomphe du dogmatisme et de la Vérité sans discussion, au détriment de la raison démocratique et laïque.

En même temps, on voudrait élever la transparence en synonyme de la vérité.

La solution idéaliste ne marche pas dans cette affaire. Hypostasier la Vérité absolue, avec un grand V, et diaboliser le «mensonge» n’est pas une solution satisfaisante.

La démocratie elle-même est en crise, sa vérité traditionnelle semble s’effondrer. Les campagnes électorales érigent les plus médiocres en vedettes d’un jour et clouent au pilori les plus méritants, qui tablent sur la distance et la continuité.

En même temps, on voudrait élever la transparence en synonyme de la vérité, sans aucun respect pour la discrétion et la confidentialité sans lesquelles il n’y aurait pas de politique digne de ce nom.

En 1797, Emmanuel Kant avait posé classiquement la question «y a-t-il un droit de mentir par humanité?», et sa réponse négative lui avait valu les foudres de Benjamin Constant. La belle défense kantienne de la vérité n’empêcha pas le philosophe allemand de reconnaître que l’on n’était pas toujours obligé de dire toute la vérité.

Battons-nous donc pour la vérité concrète, celle des faits et celle de la conscience.

La crise de la vérité

Denis Müller, théologien, éthicien et professeur honoraire de l’Université de Genève, nous parle de la menace du relativisme.