Dresde, capitale de la Saxe et bientôt du… cannabis? L’affirmation pourrait un jour se révéler exacte. C’est en effet au nord de la ville, dans la bourgade d’Ebersbach, que la première récolte de cannabis 100% allemand aura lieu en janvier prochain.

C’est le résultat du travail de Cornelius Maurer et de ses deux amis et associés qui ont fondé la société Demecan et se sont lancés, en 2017, dans la production d’huiles de cannabis médicinal. «Jusqu’à présent, tout a été importé. Mais nous avons obtenu cet été l’autorisation de planter du cannabis sur le sol allemand. Evidemment, avec l’annonce que le nouveau gouvernement veut légaliser le cannabis à des fins récréatives, cela pourrait tout changer», raconte ce jeune quadra très souriant.

C’est un petit paragraphe glissé dans l’accord de gouvernement de 177 pages qui a fait sensation en novembre dernier: «Nous introduisons la distribution contrôlée de cannabis aux adultes à des fins récréatives dans des magasins agréés. Cela permettra de contrôler la qualité, de prévenir la transmission de substances impures et de garantir la protection de la jeunesse. Nous évaluons la loi au bout de quatre ans afin de déterminer son impact sur la société…», expliquent sans plus de détail les trois partis désormais au pouvoir.

Une loi dès la fin 2022

«Comme tout le monde s’attendait à la victoire électorale d’une autre coalition, ça a été la surprise. Mais comme les Verts et le FDP avaient placé le cannabis en tête de leur programme électoral et que le SPD a rendu possible le cannabis médical en Allemagne, contre l’avis de la CDU, il se pourrait que nous ayons une loi dès la fin 2022», explique M. Maurer en enfilant des patins, un bonnet et une tenue stériles pour faire visiter sa plantation.

Nos plants sont aussi bien protégés que l’or américain à Fort Knox!

Cornelius Maurer, cofondateur de Demecan

De l’extérieur, le bâtiment de la société Demecan n’a rien de psychédélique. C’est un gros bloc de béton avec des bureaux et une série de rampes de débarquement pour les camions: «Un ancien abattoir. Nous avons choisi le lieu car il répond à de nombreux critères de sécurité. Nos plants sont aussi bien protégés que l’or américain à Fort Knox», s’amuse l’entrepreneur en poussant une lourde porte blindée.

Sur les 30 000 m² du bâtiment, 5000 m² sont dédiés à la production avec quatre salles de culture qui baignent dans la chaleur et une lumière éblouissante, produites par plusieurs rangées de grosses lampes. En principe, une salle devrait donner de 70 kg à 100 kg de têtes sèches avec une capacité maximale actuelle d’une tonne et demie. Pour l’instant, le gouvernement fédéral a garanti l’achat d’environ une tonne par an à la jeune société qui préfère conserver son chiffre d’affaires prévu au secret.

Fin du marché noir

On sait cependant qu’en 2020, l’Allemagne a importé près de neuf tonnes de cannabis à des fins médicinales et que les caisses d’assurances ont assuré une prise en charge de ces huiles qui détendent, déclenchent l’appétit ou atténuent la douleur à hauteur de 175 millions d’euros. «Evidemment, si l’on passe à la légalisation à des fins récréatives, avec environ quatre millions de consommateurs et une consommation annuelle évaluée à 400 tonnes, nous allons entrer dans une autre dimension», assure le secrétaire général de la Fédération allemande du chanvre Georg Wurth.

L’interdiction n’a que des effets négatifs.

Georg Wurth, secrétaire général de la Fédération allemande du chanvre

Pour ce dernier, la légalisation tombe sous le sens: «L’interdiction n’a que des effets négatifs. Le marché est géré par des structures criminelles qui empochent des milliards avec leur commerce. Par ailleurs, sur le marché noir, des produits de synthèse pouvant rendre plus dépendants sont ajoutés au produit et tout cela sans aucun contrôle. Enfin, une étude récente évalue à 4,7 milliards d’euros par an les gains directs et indirects dont pourrait bénéficier l’Etat s’il légalise.».

Différents modèles

Selon les experts, le modèle allemand, qui reste encore à définir en détail, à l’avantage d’arriver alors que des expériences de grande ampleur existent déjà, comme aux Pays-Bas, au Canada, en Californie ou même en Uruguay qui a par exemple autorisé la création de petits groupes de jardinage, sous contrôle bien sûr. «Nous voyons ainsi que le modèle hollandais a permis la vente et la consommation individuelle en coffee-shop, sans pour autant rendre légal l’approvisionnement des coffee-shops. Ce qui a conduit à conserver les structures criminelles du marché noir», relève Cornelius Maurer.

En revanche, dans le modèle canadien, où la vente fonctionne depuis 2018 via des magasins agréés pour adultes, 52% des consommateurs s’approvisionnent désormais sur le marché légal. Et même si la pandémie a faussé les comportements, la légalisation n’a pas provoqué de tremblement de terre. Selon une étude publiée mi-octobre par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), la part des jeunes de 15 à 17 ans avouant consommer a pour l’instant reculé de 22% à 19% en trois ans, pendant que la consommation des 25-54 ans a augmenté, celle des 18-24 ans passant ainsi de 36% à 40%.

Policiers pas favorables

«Pour notre part, nous ne croyons pas que la légalisation changera la donne et qu’elle permettra de faire disparaître le marché noir. Nous voyons aussi une augmentation des gens qui conduisent après avoir fumé un joint. C’est dangereux Enfin, nous pensons que la légalisation est un signal fatal pour la jeunesse qui sera tentée de consommer plus», estime le porte-parole berlinois du syndicat des policiers (GdP) Benjamin Gendro. Pour autant, il ne condamne pas l’essai proposé par le nouveau gouvernement car, dit-il, «il faut bien reconnaître que la politique de la drogue menée en Allemagne ces dernières décennies est un échec et a causé beaucoup de morts».

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