Depuis quelques semaines, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (Osav) s’est mis en mode gestion de crise. Les réguliers communiqués de presse publiés sont autant d’indices de la grande inquiétude que suscite la grippe aviaire auprès des autorités suisses.

Et pour cause: l’épidémie se répand à grande vitesse en Europe. D’après la plateforme française d’Epidémiosurveillance en Santé Animale (ESA), environ 1340 foyers ont été détectés dans 25 pays d’Europe depuis le 1er août et près de 50 millions de bêtes ont dû être abattues au cours des derniers mois. Le niveau de risque est passé de «modéré» à «élevé» en France depuis mi-novembre.

En Suisse, seuls quelques cas ont pour l’instant été repérés: un héron et un paon chez un détenteur particulier à Seuzach (ZH) et un cygne à Locarno (TI). Pour prévenir la propagation du virus, l’Osav a édicté dès le 28 novembre une série de mesures à l’attention des propriétaires de volailles, visant à éviter tout contact avec des oiseaux sauvages.

Même si le pays est épargné, Camille Luyet, docteure en médecine vétérinaire et collaboratrice scientifique à l’Osav, juge la situation très préoccupante. Interview.

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Originaire du Valais, Camille Luyet est docteure en médecine vétérinaire et collaboratrice scientifique à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (Osav), au sein de la division santé animale.

Quelles sont vos craintes?

Le pire scénario est qu’un grand nombre d’exploitations soit touché. Car dès qu’une exploitation de volaille est contaminée, l’élevage doit être mis à mort, avec des conséquences économiques et psychologiques très importantes pour les éleveurs.

Par exemple, en mars dans le Jura, 14 000 poules pondeuses ont dû être mises à mort à cause du virus de Newcastle. C’est dans de telles situations qu’on réalise les conséquences tragiques de ces maladies hautement contagieuses.

Comment expliquer que, ces deux dernières années, la grippe aviaire soit apparue en hiver en Suisse?

C’est lié à la migration des oiseaux sauvages qui viennent hiverner sur nos lacs et rivières. Les canards colverts, par exemple, peuvent être porteurs du virus sans en mourir.

C’est pourquoi il faut à tout prix éviter qu’ils entrent en contact avec des volailles, dont le taux de mortalité peut atteindre 100%, en fonction du type de virus de la grippe aviaire.

Qu’est-ce qui a changé en 2022 par rapport à l’année passée?

Nous avons constaté que la biologie du virus H5N1 s’est modifiée. Il touche désormais plus d’espèces d’oiseaux différentes et peut ainsi se propager plus facilement.

Pour la première fois, la grippe aviaire a sévi en Europe toute l’année, sans aucune pause estivale. C’est un mauvais signe, qui laisse penser que la maladie pourrait devenir endémique et qu’on devra apprendre à vivre avec.

Comment expliquer que la Suisse soit moins touchée qu’ailleurs en Europe?

Tout d’abord, nous avons de la chance d’avoir les Alpes. Grâce à elles, les principaux axes migratoires des oiseaux ne survolent pas la Suisse. Ensuite, le fait que la plupart des détenteurs concernés respectent les mesures imposées contribue à diminuer la propagation du virus.

Au vu du peu de cas observés ici, les mesures ordonnées sont-elles proportionnées?

Avant de prendre toute décision, nous discutons avec les spécialistes de la grippe aviaire et les vétérinaires cantonaux, afin de nous assurer qu’aucune mesure ne soit superflue.

Il est vraiment important d’analyser la situation dans sa globalité, telle qu’elle se présente en Europe. Or, elle est dramatique et très préoccupante. C’est la première fois qu’il y a autant de cas.

Que se passera-t-il si la situation devait empirer dans le pays?

Si de nouvelles exploitations devaient être touchées, nous instaurerions des zones de protection d’un rayon de 3 km et des zones de surveillance sur 10 km. Nous pourrions aussi être amenés à étendre les mesures à tous les autres oiseaux domestiques et prononcer une interdiction de sortie des volailles. L’évolution future de la maladie reste toutefois très difficile à évaluer.

Combien de personnes sont concernées en Suisse?

On compte 15 000 détenteurs de volailles. Cependant, beaucoup d’exploitations ne sont pas enregistrées, par exemple des gens qui possèdent des poules par hobby. Nous peinons à les atteindre et à les contrôler.

Il est pourtant fondamental que même une personne détenant deux poules dans son jardin respecte les mesures mises en place par l’Osav.

Quels sont les risques pour l’être humain?

Il n’y a aucune raison que la population s’affole: il est vraiment très rare que le virus H5N1 se transmette aux humains. Il reste tout à fait possible de manger des œufs et du poulet sans crainte.

Nous recommandons toutefois de ne pas toucher d’oiseaux morts. Si quelqu’un tombe sur un cadavre, il doit prévenir le garde-faune, le service vétérinaire cantonal ou la police.

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