«J’ai le sentiment de partir à l’abattoir.» Il n’est pas encore mort, mais effectivement abattu, David.

Trente-six ans, plein de vie, sauf ce matin. C’est qu’à neuf heures tapantes, ce Neuchâtelois passera entre les mains d’un urologue pour bénéficier d’une vasectomie (lui préfère dire qu’il la «subira»). Après quoi, il sera stérile.

La vasectomie est une méthode de contraception masculine. Cette courte intervention chirurgicale se déroule en ambulatoire, sous anesthésie locale. Elle consiste à ligaturer les deux canaux déférents pour empêcher les spermatozoïdes de quitter les testicules. Si elle est efficace environ deux mois après intervention et un nombre suffisant d’éjaculations, elle ne protège pas des maladies sexuellement transmissibles.

Depuis cinq ans environ, le recours à la vasectomie est en augmentation, et les patients sont de plus en plus jeunes. Cette tendance se confirme dans le canton de Neuchâtel, où il faut patienter jusqu’à six mois pour se faire opérer.

«Dans notre cabinet, la demande a augmenté de 15 à 20% ces cinq dernières années», confirme l’urologue chaux-de-fonnier Jean-Emmanuel Lalive. Si le médecin ne dispose pas de données précises sur l’âge moyen des patients, il indique «que les couples sont toujours plus jeunes».

J’ai peur que mon désir diminue, de ne plus avoir d’érection convenable.

David*, 36 ans

Trois tendances expliquent ce phénomène. La volonté d’une société plus égalitaire, où les hommes partagent désormais le fardeau de la contraception. Des raisons purement médicales, comme l’intolérance aux contraceptifs féminins. Et l’évolution sociétale qui conduit les couples à se séparer plus fréquemment qu’avant: pour les hommes qui veulent refaire leur vie, la vasectomie leur permet de ne plus être taraudés par la perspective «enfant».

«Peur de n’être qu’un demi-homme»

C’est précisément le cas de David, séparé et déjà père de deux enfants. «J’ai opté pour la vasectomie car je refuse qu’une nouvelle parentalité devienne un objet de pression ou de dispute avec ma future compagne. Celle qui voudra bien de moi me prendra comme je suis: stérile.»

Stérile: l’adjectif l’effraye. «Bien sûr, que je me sens mal. J’ai peur que mon désir diminue, peur de ne plus avoir d’érection convenable. Parfois, je ressens comme une honte de n’être bientôt plus qu’une sorte de demi-homme. Dans l’inconscient collectif, cette opération altère la masculinité. Mais je vais y aller.»

Pour Stéphane, 49 ans, la vasectomie n’a rien changé, pas même psychiquement. Après deux unions et quatre enfants, dont deux «non planifiés», il ne voulait pas d’une cinquième paternité.

Ce policier parle de son opération sans tabou. «Je renseigne volontiers des collègues. Je vais même jusqu’à dire que la vasectomie a été un avantage au moment de rencontrer ma compagne. Certaines femmes ne veulent pas ou plus d’enfants, pareil pour la contraception.»

Il nous semblait logique que la répartition des tâches aille jusqu’à la contraception.

Sacha* et Marie, 42 et 40 ans

#vasectometoo

Outre les hommes qui souhaitent refaire leur vie sans (re)faire d’enfants, on constate une tendance à un idéal d’égalité, qui concerne aussi la contraception. S’il est difficile d’affirmer que cette volonté s’est renforcée avec #meetoo, le mouvement a au moins l’avantage de nourrir la discussion.

«Nous veillons à une juste répartition des tâches», racontent Sacha* et Marie, 42 et 40 ans. «Il nous semblait logique que celle-ci aille jusqu’à la contraception», poursuivent ces Chaux-de-Fonniers.

«Après mes trois grossesses, Sacha a donc bénéficié d’une vasectomie. D’abord pour m’éviter la prise d’hormones, ensuite pour des raisons financières. La vasectomie est moins onéreuse.»

Cette opération représente une sorte de facilité, ou de tentation pour qu’il aille voir ailleurs sans prendre le risque d’avoir un enfant hors mariage.

Isabelle*, 40 ans

Tromper plus facilement?

Marie y voit une «preuve d’amour». Contrairement à Isabelle*, 40 ans, qui admet redouter cette intervention. «Mon ami serait favorable à une vasectomie, moi je refuse», tranche cette Neuchâteloise. «Cette opération représente une sorte de facilité, ou de tentation pour qu’il aille voir ailleurs sans prendre le risque d’avoir un enfant hors union. Je préfère continuer à prendre la pilule. Je sais qu’il ne me comprend pas toujours, mais c’est mon choix.»

Dans certaines situations, la vasectomie n’est précisément pas un choix, mais une nécessité.

Jean-Dominique, 53 ans et père de trois enfants, a bénéficié d’une vasectomie il y a 20 ans, après que son épouse a dû stopper la contraception, trop dangereuse pour elle. «Parmi mes amis et ma famille, j’étais le seul à avoir eu recours à la vasectomie. J’avais envie de partager mon expérience, mais ça n’était pas facile.»

Pour certains proches, «notamment de confession catholique, il n’était pas possible d’évoquer le sujet. Pour d’autres, nous ne sommes tout simplement plus un homme au terme d’une telle intervention».

Délai d’attente

Florence* en sait quelque chose. Cette quadragénaire a dû insister pour que son mari prenne rendez-vous chez un spécialiste. «Il m’a dit que je ne pouvais pas lui demander une chose pareille. Il avait peur. Il m’a même dit que sa fonction primaire, c’était d’être un reproducteur!»

Pourtant, la Neuchâteloise rencontre d’importants problèmes de santé, favorisés par la contraception.

Malgré leurs précautions, Florence tombe enceinte. Le couple doit se résoudre à interrompre la grossesse. «Nous étions effondrés. Nous nous sentions pris en faute, comme deux adolescents», raconte-t-elle encore bouleversée.

Cet épisode traumatisant les pousse à prendre rendez-vous chez un urologue. «Ça a été la douche froide, il y avait six mois d’attente. Une éternité.»

Les hommes ont tendance à oublier que la contraception est aussi leur responsabilité.

Florence*, quadragénaire

Florence a tenu à témoigner car, selon elle, beaucoup de femmes peinent à convaincre leur mari de la nécessité de s’impliquer davantage dans la contraception. «Ils ont trop tendance à oublier que c’est aussi leur responsabilité!»

Qui est responsable de quoi?

Difficile d’être responsable lorsque l’on ne possède pas l’information. Au cours de notre enquête, nous avons été surpris de constater que beaucoup d’hommes peinent à décrire ce qu’est réellement une vasectomie.

Aucun d’eux n’a été informé de cette possibilité de contraception via un médecin. «Je n’ai même jamais vu de dépliant dans la salle d’attente de l’obstétricien de ma compagne», résume Sacha. «En revanche, il y avait une pub pour l’implant contraceptif.»

Un constat que ne partage pas vraiment Marie-José Chevènement. Cette gynécologue obstétricienne installée à La Chaux-de-Fonds assure «informer, mais aussi encourager la vasectomie. J’adresse le patient, via sa conjointe, à un confrère pour une discussion. Mais la meilleure pub reste le pote qui est passé par là et qui se porte bien!»

Stérilisé pour des raisons climatiques

D’autres raisons conduisent les jeunes hommes à opter pour une vasectomie. La crise climatique, notamment, même si cela reste rare.

L’état de la planète est tel, que je ne me vois pas laisser mes enfants dans ce chaos.

Quentin, 24 ans

C’est pour cette raison que Quentin est sur le point de franchir le pas. Du haut de ses 24 ans, et malgré son célibat, cet habitant du canton affirme ne pas vouloir d’enfants. «L’état de la planète est tel que je ne me vois pas laisser mes enfants dans ce chaos. Avoir des enfants n’est pas écologique. La terre est surpeuplée.»

Léon*, 38 ans, est en attente d’un rendez-vous chez un urologue. S’il estime qu’avoir des enfants à 40 ans est «trop tard», il lie également sa décision «à une prise de conscience: on ne va pas vers des lendemains qui chantent».

Cette résignation, l’urologue Jean-Emmanuel Lalive la ressent nettement. «C’est une nouveauté dans mes consultations. Je soutiens cette démarche, j’ai les mêmes convictions écologiques. Mais à ces patients, je propose davantage de temps de réflexion qu’à un couple qui a déjà des enfants.»

La femme trop seule

Vingt ans plus tard, Jean-Dominique insiste sur la nécessité d’informer. «La femme se sacrifie encore trop. Ça n’est pas normal.»

Quelques jours après son opération, David nous a livré ses impressions par téléphone. Le sourire dans la voix, presque gêné «d’en avoir fait tout un foin», le trentenaire doit rester abstinent jusqu’à la disparition des douleurs. «Ça tire un peu, c’est enflé, mais tout va bien.»

*Prénoms d’emprunt

null

Contraception: succès des premiers tests d’une pilule masculine sur les souris

Une pilule contraceptive non hormonale pour hommes montre des résultats prometteurs.