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Incontournable, le capitalisme n'est ni éthique ni moral

Ne comptons pas sur l'Etat pour créer de la richesse, ni sur l'économie pour créer de la justice. La politique doit limiter l'économie, la morale la politique et l'éthique la morale. Invité jeudi soir au Club 44, le philosophe français André Comte-Sponville y a développé les thèmes de son ouvrage «Le capitalisme est-il moral?»

12 mai 2007, 12:00

A cette question, vous répondez que le capitalisme est amoral plutôt qu?immoral, la nuance se justifie-t-elle? Amoral ou immoral, dans les deux cas, on constate que le capitalisme n'est pas moral. Pourquoi? Il ne fonctionne pas à la vertu ou au désintéressement, mais à l'égoïsme, à l'intérêt personnel. Le propre de la vertu c'est d'être désintéressé, le capitalisme, au contraire, fonctionne à l'intérêt. Pourquoi amoral? Parce que le capitalisme n'est pas immoral de ce que peut être son intérêt. Et il est parfaitement légitime de s'occuper de son intérêt. Il n'est pas immoral de vouloir gagner sa vie, faire fortune ou nourrir ses enfants.

Mais n?est-ce pas une attitude égoïste? Il faut sortir de deux niaiseries: une de droite, qui veut nous faire croire que le capitalisme est moral, parce qu'il récompenserait le travail, la créativité et l'invention, alors qu'il récompense surtout la richesse. Une de gauche, qui veut nous faire croire que le capitalisme est immoral parce qu'il fonctionne à l'égoïsme. Mais c'est l'humanité qui fonctionne ainsi. Relisez Marx, vous verrez qu'il a toujours pensé que les humains étaient mus par leur intérêt.

La faillite du marxisme signifie-t-elle que cette pensée n?est pas ou plus viable? Je n'en attends plus d'issue, même si ce que Marx dit du capitalisme reste éclairant. En revanche, ce qu'il disait sur le communisme n'a pas été confirmé par l'histoire. Le communisme, ça ne marche pas pour une raison anthropologique. Le communisme aurait pu réussir à une condition: que les hommes cessent d'être égoïstes et placent enfin l'intérêt général plus haut que leur propre intérêt.

Il était aussi inévitable que le communisme devienne très vite totalitaire, parce qu'il a bien fallu imposer par la contrainte ce que la morale s'est avérée, très vite, incapable d'obtenir. L'erreur de Marx, c'est d'avoir voulu inventer un système qui supposait, pour fonctionner, une transformation de l'humanité. La grande force du capitalisme, à l'inverse, c'est qu'il ne demande aux individus rien d'autre que d'être exactement ce qu'ils sont: soyez égoïstes, allez à votre intérêt et tout ira pour le mieux dans le plus efficace des mondes réels: le monde marchand. La supériorité du capitalisme tient au fait qu'il est en phase avec l'égoïsme foncier de l'espèce humaine. Je ne le lui reproche pas, c'est un constat.

Vous refusez une morale au capitalisme, mais qu?en est-il du commerce équitable? Il représente 0,1% du commerce mondial. Il n'est qu'une abstraction. Ce qui est moral, c'est l'individu qui va acheter un cacao plus cher et moins bon qu'un autre parce qu'il est estampillé commerce équitable. Que les individus puissent et doivent être moraux, ce n'est pas moi qui le contesterai. Ma thèse, c'est que le capitalisme n'est ni moral, ni immoral, c'est pourquoi les individus eux doivent être moraux. Arrêtons de compter sur le capitalisme pour être moral à notre place. Les gens tapent sur le système parce que c'est commode, parce que le système c'est personne, «parce que c'est surtout pas moi» et pour s'exempter de leurs propres responsabilités.

Le commerce équitable, je suis pour, mais je ne compte pas là-dessus pour changer l'essence même du système. Comparez le Mali et la Chine: le premier pays a besoin de notre générosité, le second non. La Chine ne compte que sur notre intérêt, sur les vêtements que nous leur achetons par intérêt. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut ignorer le commerce équitable. Moralement, c'est tout à fait bien, économiquement, ça ne joue qu'à la marge, mais politiquement, il ne va pas sortir les pays du tiers monde de la misère.

Quel message voulez-vous faire passer aux entrepreneurs? Ne comptez pas sur le marché pour être moral à votre place. Autrement dit, c'est à vous d'être moraux, d'être vertueux. Mais ce n'est pas une raison pour renoncer à défendre les intérêts de l'entreprise. Mon propos n'est pas de dire que l'éthique n'a pas sa place dans l'entreprise, au contraire, mais c'est celle des individus. Cela vaut à tous les niveaux. Cela vaut spécialement pour le chef d'entreprise, parce que dès lors qu'il a davantage de pouvoir, il a davantage de responsabilités. / DJY

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