Koné marche d’un pas rapide entre les buissons. «Voici la plantation», dit-il. Devant lui, quelques arbustes bas. Le sol est sarclé, indice d’une culture bien entretenue.

«Ce n’est pas bien grand, en tout il y a 1,5 hectare», précise-t-il, en arrachant les mauvaises herbes à grands coups de machette. Koné est propriétaire de champs de cacao du village d’Anno, à 70 km au nord d’Abidjan.

Au printemps, à l’orée de la saison des pluies, et à l’automne, les planteurs coupent à la machette, comme le faisaient leurs parents, les cabosses jaunes accrochées aux branches, les désossent pour en extraire les fèves blanches qui, une fois séchées, seront vendues pour être torréfiées et broyées.

Avec 600’000 planteurs pour 2,4 millions de tonnes produites en 2022, la Côte d’Ivoire est le premier producteur de cacao au monde (en 2022, la Suisse a importé 54,7 tonnes de cacao, dont près de 3,4 tonnes de Côte d'Ivoire). Cet «or brun» a fait sa réussite durant les années 1970-1980.

Mais la chute du cours dans les années 1990 et, depuis, sa grande volatilité, le monopole de quelques acheteurs et la flambée des prix des intrants (éléments qui entrent dans la production de biens comme le matériel, les pesticides, les engrais…) consécutifs de la guerre en Ukraine prennent en tenaille ces producteurs.

Il y a deux ans, le sac d’intrants coûtait 17 000 francs CFA (25.90 euros). Aujourd’hui, on l’achète pour 30 000 francs (45.70 euros).

Mme Akélé, propriétaire de trois hectares

À entendre les planteurs, chaque hectare demande quatre sacs d’intrants, deux fois par an. «Dans la région, un hectare produit en moyenne 700 000 francs CFA de cacao par an, explique Jean-Jacques Aka Adou, de la coopérative Scinpa. Vous ôtez les 240 000 des intrants, il ne vous reste déjà plus que 460 000 francs CFA. Aux prix des insecticides, des fongicides et de l’engrais s’ajoute souvent le prix d’un ouvrier. À la fin de l’année, les producteurs n’ont plus rien.»

À Anno, les planteurs sont dépendants des engrais chimiques. Les arbres, comme les sols, sont épuisés par quarante années de culture. «Replanter veut dire se priver de production pendant les trois premières années», explique Koné. Les intrants permettent de continuer.

Le coût de la barre de chocolat augmente, mais pas celui du cacao

Jérémie Kouassi, directeur du développement agricole au Conseil Café Cacao (CCC)

En 2022, le Conseil Café Cacao (CCC), l’organe chargé de la régulation et du développement de la filière, estimait que 80% des producteurs ivoiriens vivaient sous le seuil de pauvreté – établi à 2 dollars de revenu par jour par la Banque mondiale.

«La situation s’aggrave, pointe Jérémie Kouassi, directeur du développement agricole au CCC. Le coût de la barre de chocolat augmente, mais pas celui du cacao, et ce sont les producteurs qui en paient le prix.»

Secousses du marché

En 2023, le CCC a augmenté le prix d’achat au producteur de 9%. Le kilo se vend cette année à 925 francs CFA le kilo. «C’est encore trop peu», peste Mme Akélé.

Durant la pandémie, les acheteurs ont baissé leurs volumes d’achats, quand la production, elle, n’a pas diminué. «J’ai choisi de vendre une partie de ma production à très bas prix à un acheteur qui est venu me trouver, raconte Mme Akélé. Je ne pouvais pas me permettre de la jeter.».

Pour Jean-Jacques Aka Adou, ces acheteurs «pirates» sont autant de vautours qui profitent de la fragilité des planteurs pour se procurer du cacao à vil prix.

Il y a un problème dans le partage du gâteau, mais nous sommes David contre Goliath

Jérémie Kouassi, directeur du développement agricole au CCC

Devant la coopérative Scinpa, à Agboville, un homme perce d’un geste expert les sacs de cacao venu d’Anno.

Un à un, les sacs validés sont emportés par les ouvriers dans la réserve de la coopérative. La Scinpa vend l’intégralité de la production de ses 3800 producteurs à l’américain Cargill, qui commercialise le cacao moulu aux grands chocolatiers du monde.

Car si la Côte d’Ivoire est le premier producteur de cacao du monde, avec près de 43% de la production mondiale, le pays n’est que peu impliqué dans sa transformation.

«Environ 5% de la manne financière (réd.: estimée à 130 milliards de dollars par an) reste en Côte d’Ivoire, les 95% restant partent pour les transformateurs et les chocolatiers, pointe Jérémie Kouassi. Il y a un problème dans le partage du gâteau, mais nous sommes David contre Goliath.»

«Une Opep du cacao»

Pour soutenir les revenus des producteurs, la Côte d’Ivoire et le Ghana voisin, deuxième pays producteur, se sont associés dans une «Opep du cacao» et ont imposé en 2019 un mécanisme de prime, le différentiel de revenu décent (DRD). Fixé à 400 dollars la tonne, il entend garantir un revenu décent aux planteurs.

Mais les industriels ont imposé après le Covid une baisse d’une autre prime – la prime-pays – qui valorise la qualité du cacao en fonction des pays de provenance.

En deux ans, elle a chuté de 150% en Côte d’Ivoire, jusqu’à devenir négative, faisant baisser le prix d’achat.

Entre les cacaoyers d’Anno, sur le chemin du retour au village, les planteurs haussent les épaules. «Cette prime, c’est une goutte d’eau dans la mer, soupire Koné. On sera toujours les perdants.» Eux-mêmes n’achètent pas de chocolat. C’est bien trop cher.

Stanislas Poyet/Le Figaro

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