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Point de vue de Patrick Vincent: «Réparer un monde désarticulé»

«Le rêve moderne de développement à l’échelle mondiale est révolu» écrit Patrick Vincent, professeur à l’Université de Neuchâtel. Comme d’autres personnalités locales, nous l’invitons à s’exprimer régulièrement sur des sujets d’actualité.

19 déc. 2018, 14:00
Protéger le climat: les Etats rechignent, déplore le professeur de l'Univesité de Neuchâtel Patrick Vincent.

«Le temps est hors de ses gonds»: cette formulation d’Hamlet exprime parfaitement le sentiment de désorientation, voire de désespérance, qui nous guette en cette fin d’année.

Certes, les élections de mi-mandat aux Etats-Unis ou le référendum sur l’autodétermination ont pu réconforter celles et ceux qui croient encore en un ordre libéral progressiste. Mais au-delà du souverainisme et du populisme, au-delà des mensonges, de la corruption et de la violence prônés ouvertement par bon nombre de chefs d’Etat, au-delà même des inégalités galopantes et des mouvements de population, nous sommes confrontés, tout bonnement, à une sixième extinction massive.

Selon Bruno Latour, le rêve moderne de développement à l’échelle mondiale, synonyme de progrès et d’émancipation, est définitivement révolu. Car il n’y a pas de Terre qui puisse accommoder cet idéal, et aucune technologie miracle nous sortira assez rapidement du pétrin. C’est un nouvel état des lieux terrifiant que les bouleversements naturels, feux, inondations, fonte des glaces, nous rappellent désormais quotidiennement.

Ce que l’anthropologue français a nommé le «nouveau régime climatique» brouille nos grilles de lecture, rendant obsolète la distinction entre droite et gauche, entre local et global, entre science et politique. Pour lui, les classes dirigeantes n’ont plus les outils ou la vision nécessaires pour répondre aux changements. Pire, certains ont délibérément choisi de se mettre à l’abri, imaginant qu’il n’y a plus de monde commun à partager.

Souvenons-nous de la déclaration de Bush père avant Rio en 1992: «Le mode de vie américain n’est pas négociable.» Les véritables idéalistes aujourd’hui sont les climato-négationnistes dont la seule politique est de rejeter la Terre et de briser toutes les formes de solidarité. Après nous le déluge, pensent-ils. Mais avec une augmentation de la température de l’atmosphère de 1.5 degrés d’ici 2040, ce sera un déluge de feu.

Que faire? Bruno Latour offre malheureusement peu de recommandations concrètes: attachez-vous à un territoire tout en vous ouvrant à l’autre, «reterritorialisez» l’espace afin de vivre durablement, reprenez confiance dans une Europe solidaire…

Comme Hamlet, la tâche qui nous incombe aujourd’hui est de réparer un monde désarticulé; or cette tâche nous est particulièrement pénible, car elle nous oblige à remettre tout en question.

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