Au fil des années, j’ai tissé dans un bistrot de Neuchâtel des amitiés imprévues et variées. La discrétion oblige que je me contente de les évoquer en les travestissant même un peu. Un café est un rassemblement d’amis et d’inconnus, au jour le jour. Un trait caractéristique de ce groupe réside dans son extrême diversité sociale, sans que cette diversité ait à faire avec une différence intellectuelle.
Tout à coup tel ami, vivant très isolé et dans une grande précarité matérielle, démarre une réflexion vivace et pugnace, sur l’état de nos rivières et de notre lac. C’est un pêcheur qui parle, et un authentique écologiste. Un autre ami a étudié le droit, mais après un itinéraire de vie que je connais à peine, il est arrivé au temps difficile du chômage. Nous sommes devenus amis avec un économiste luxembourgeois qui, après plusieurs années de lutte à ses côtés, a perdu sa fille à la suite d’un cancer. D’autres personnes sont plus âgées que nous, leur vie est remplie souvent de souvenir de voyages.
Une grande partie des clients sont Portugais, comme la patronne. Il y a des gens de plusieurs corps de métiers, et aussi des chômeurs, ainsi que des retraités comme nous, ou un groupe de mécaniciens ou de motards, mais partout percent des souffrances, des drames, la maladie, des questionnements fondamentaux. Tels ont perdu des enfants, d’autres vécu le suicide d’un proche. Mais des naissances ont été accueillies, et nous partageons sur les enfants et les petits-enfants qui arrivent. Il y a aussi les luttes politiques et syndicales, l’avenir de la poste, du canton. Ce café est un microcosme.