C’est fou ce que je pense à Jacques Tati ces temps. Depuis qu’on nous bassine avec la 5G, en fait. Comme si le génial cinéaste aux allures de pierrot lunaire avait déjà tout compris il y a soixante ans de ce qui nous arrive aujourd’hui. Vous ne vous souvenez plus de «Mon oncle», grand gaillard dégingandé – Tati lui-même – pantalon trop court et pardessus improbable, fumeur de pipe et pilote de Solex, artisan malgré lui des pires catastrophes? Désespérant pour quelques-uns et tellement attachant pour les braves gens de son quartier, les gosses espiègles et les corniauds sans colliers.
Mais si, voyons, vous ne pouvez pas avoir oublié ces scènes où, tel un chien dans un jeu de quilles, il enchaîne les gaffes dans la maison de son beau-frère, un parvenu propriétaire d’une villa ultra-moderne, dotée de tous les gadgets dont pouvaient rêver les nouveaux riches dans les années 1950, où l’on ne jurait que par les progrès technologiques.
Or, dans cet univers froid aux angles droits et aux sols faisant claquer chaque pas de manière grotesque, il suffit d’un petit rien pour tout dérégler. Demain, on nous promet des objets connectés et intelligents? Une bagnole qui trouve sa route toute seule, un frigo qui fait la liste des courses, un aspirateur qui traque la poussière dans les moindres recoins. Et l’humain sans tout ça? Il pourra encore choisir la musique qu’il aime et le film qu’il a envie de revoir? Si on doit se fier aux seuls algorithmes, pas sûr qu’on nous resserve la poésie de ce grand maladroit de Hulot.
Dommage, il nous ouvrirait peut-être les yeux…