Les Jeux olympiques de Tokyo étaient annoncés comme ceux de la pandémie, ils ont aussi été ceux des exploits venus d’ailleurs. Après quelques années de «sagesse», certains sports, en particulier l’athlétisme, ont connu une recrudescence au niveau des performances. Ainsi, trois records du monde sont tombés. En natation aussi, les chronos se sont affolés avec six records mondiaux. En cyclismes sur piste, on en compte tout autant.

Tous sports confondus, on atteint la trentaine, ce qui correspond à la moyenne olympique. Reste que la progression de certains chronos épate. Voici quelques pistes pour comprendre.

L’apport du matériel et de la technologie

Depuis toujours, les progrès techniques permettent d’améliorer les performances. En athlétisme, deux nouveaux facteurs entrent en jeu: les nouvelles chaussures équipées de semelles «propulseuses» et la piste ultrarapide de Tokyo. «J’ai couru moi-même avec de telles chaussures et le gain obtenu ne peut pas apporter un tel avantage», assure Guillaume Laurent, spécialsite d'athlétisme et co-fondateur du site «athle.ch», en référence au record sur 400 m haies réalisé par le Norvégien Karsten Warholm (45''94).

«L’athlète néerlandaise Femke Bol (3e sur 400 m haies) court avec de telles chaussures depuis 2020, elle avait réalisé un temps de 53’’79 en 2020 et elle a couru en 53’’03 à Tokyo», souligne Laurent Meuwly, entraîneur suisse des Pays-Bas et de plusieurs athlètes helvétiques (Ajla Del Ponte, Lea Sprunger, etc.). «Cela n’explique donc pas tout.»

Et cela ne semble pas être la panacée. «Ces chaussures spéciales apportent quelque chose, mais pas à tous les athlètes. Cela dépend du type de foulées, de la façon de poser le pied en course», illustre Florian Lorimier, préparateur physique neuchâtelois.

Les athlètes ont adapté leur technique de course à ce nouveau matériel et le gain réalisé n’est pas négligeable.

Grégoire Millet, professeur en sciences du sport à l’Université de Lausanne

Le professeur en sciences du sport Grégoire Millet, de l’Université de Lausanne, a réalisé des études à ce sujet. «Pour le marathon, nous arrivons à un gain de 4%, selon nos études», affirme-t-il. «Pour des courses sur le stade avec ces pointes spéciales, on ne connaît pas le rendement exact, mais le renvoi du pied sur la piste joue un rôle important. Surtout sur une piste aussi rapide et spécialement étudiée pour favoriser la propulsion horizontale.»

«Les athlètes ont adapté leur technique de course à ce nouveau matériel et le gain réalisé n’est pas négligeable. Dans des sports comme le cyclisme sur piste, l’apport des études très poussées en aérodynamisme joue un rôle de plus en plus important.»

On parle tout de même d’une progression de près d’une seconde pour Karsten Warholm en une année, ce qui avait «choqué» Lea Sprunger, et de près de huit secondes en cinq ans pour le record du monde en poursuite par équipes pour les pistards italiens.

Préparation plus poussée

C’est la principale explication avancée. «Durant le long arrêt des compétitions engendré par la crise sanitaire, la plupart des athlètes européens ont pu se concentrer exclusivement sur l’entraînement», assure Laurent Meuwly. «Ajla Del Ponte, par exemple, a abattu un travail de fou et elle en a récolté les fruits à Tokyo. Certains Jamaïcains et Américains se sont préparés moins sérieusement et cela s’est vu aux JO.»

La nouvelle génération de sportifs d’élite bénéficie aussi des progrès réalisés dans la théorie de l’entraînement. «L’évolution du système de production de la performance est très importante», confirme Grégoire Millet. «Les techniques d’entraînement ne cessent de s’améliorer, comme le niveau de qualification des entraîneurs. On remarque la présence de scientifiques dans l’encadrement de la plupart des fédérations olympiques.»

Pour ces JO, la possibilité de mieux planifier le pic de forme, grâce à l’absence de nombreuses compétitions, a joué un rôle important.

Florian Lorimier, préparateur physique neuchâtelois

«Pour ma part, je suis admiratif de l’approche des nations anglo-saxonnes et de la Norvège. Ce pays scandinave a transposé sur les sports d’été tout le travail effectué au niveau des sports d’hiver où ce pays est très performant depuis longtemps.»

Tout le monde ne se montre pas aussi enthousiaste concernant les Norvégiens, mais les progrès réalisés dans ce domaine sont indéniables. «On le remarque depuis le début des années 2000», constate Florian Lorimier. «Pour ces JO, la possibilité de mieux planifier le pic de forme, grâce à l’absence de nombreuses compétitions, a joué un rôle important.»

L’ombre du dopage

Tous nos interlocuteurs espèrent que tous ces records n’émanent pas de tricheurs. Toutefois, les doutes existent. «Il y a des progrès au niveau de la lutte antidopage et cela a permis d’écarter une vingtaine d’athlètes avant les épreuves d’athlétisme», relève Laurent Meuwly.

«C’est bon signe et j’espère que l’on continuera à attraper les tricheurs. Cela dit, il faut relativiser certaines choses. Femke Bol, que j’entraîne, a couru le 400 m haies en 52’’03. Donc plus rapidement que certaines athlètes de l’Est durant les années 1980 que l’on considérait comme dopées. Je peux vous assurer que Femke est propre.»

Il ne faut toutefois pas se leurrer, la période d’arrêt due au Covid a entraîné une baisse du nombre de contrôles (lire ci-après) et certains tricheurs ont pu en profiter. «Je ne crois toutefois pas qu’un dopage étatique soit encore possible», nuance Grégoire Millet. «Il est plus probable que les nouvelles méthodes de dopage combinent les approches. Par exemple, on soupçonne certains athlètes qui s’entraînent en hypoxie (réd: en altitude ou avec des moyens simulant l’altitude) d’avoir en même temps recours à des injections de microdoses d’EPO. La fenêtre de détection est très réduite pour cette pratique.»

«Le suivi médical de certains athlètes est très poussé et on flirte souvent avec la zone grise du dopage», complète Guillaume Laurent. On connaîtra peut-être dans quelques mois ou années les «secrets» de certains exploits réalisés à Tokyo. En attendant, comme l’avait dit le chercheur Raphaël Faisse à propos des performances de Tadej Pogacar durant le Tour de France, les sportifs concernés ont «le bénéfice du doute».

Contrôles antidopage en baisse
Les statistiques de l’Agence mondiale antidopage (AMA) le démontrent: on est passé de 305 881 contrôles en 2019 à 168 256 en 2020. Du coup, les cas positifs ont considérablement diminué aussi: 670 en 2019 et 381 en 2020, selon la plateforme allemande Betrugstest.
Durant les six mois précédant ces JO, les instances ont tenté de rattraper ce retard et quelque 25 000 contrôles ont été diligentés. Ce rattrapage explique certainement qu’une vingtaine de suspensions pour dopage aient été prononcées juste avant ou pendant les compétitions olympiques.
Chose intéressante concernant les chiffres fournis par ce site allemand, la grande majorité des sportifs sanctionnés pour dopage sont des hommes: ils sont 1740 pour 445 femmes. Pourquoi? «On le remarque aussi en ce qui concerne la consommation de drogues en général», répond Verena Sellier, porte-parole de cette plateforme.

JO de Tokyo: les records suscitent des questions

Une trentaine de records du monde et de nombreuses grandes performances ont eu lieu à Tokyo durant les derniers Jeux olympiques. Comment l’expliquer? Voici quelques pistes.