«Tous les quatre ans, c’est la même histoire depuis bientôt quatre décennies.» Sourire en coin, Etienne Dagon le sait très bien: il est toujours le seul suisse médaillé olympique de natation. C’était le 3 août 1984, à Los Angeles, sur 200 m brasse.

Biennois de naissance, le Neuchâtelois d’adoption se cherche toujours, à 60 ans, un successeur. Serait-ce – enfin – pour cette fois, à Tokyo, en 2021? Les nageurs suisses commencent les compétitions ce samedi 24 juillet.

Près de 37 ans séparent ces deux photos. Pourtant, cette médaille de bronze est toujours la seule détenue par la natation helvétique. Photos: ASL / Christian Galley

Une effervescence similaire

La natation suisse semble en tous les cas traverser une phase dorée: pas moins de 62% des records de Suisse en grand bassin ont été réalisés ces cinq dernières années. Mais cette embellie s’est fait attendre: le record de Suisse d’Etienne Dagon sur 200m brasse n’a par exemple été battu qu’en… 2009 par le Zougois Kilian Bossard et ce, pour trois petits dixièmes. Sa marque de 2'16''87 tenait depuis plus de 20 ans.

Néanmoins, l’évolution du sport en général et des athlètes suisses en particulier rend l’ancien olympien pantois. «Aujourd’hui, si un nageur termine à six dixièmes du premier, il a raté sa course», image-t-il. «Avant, on n’était pas séparé par des centièmes, mais par des secondes!»

Être détrôné? Honnêtement, ça m’ennuierait. Et je pèse mes mots!

Etienne Dagon, médaillé de bronze au JO de Los Angeles 1984

La génération actuelle ne le laisse pas insensible. «Je ressens la même effervescence que celle nous avions connue aux championnats d’Europe à Split, en 1981», relate Etienne Dagon. Si la délégation suisse n’avait ramené aucune médaille de Croatie, 18 records de Suisse avaient été battus durant la compétition.

Génération aux dents longues

Dans le sillage de Jérémy Desplanches (27 ans), vice-champion du monde et d’Europe en titre en 200 m quatre nages, la jeune génération, emmenée par la Zurichoise Lisa Mamié (22 ans), vice-championne d’Europe du 200 m brasse, ou encore Roman Mityukov (20 ans), médaillé de bronze européen en 200 m dos, a les dents longues.

«Lorsque j’entends ce dernier dire, tout sourire, qu’il était 'au bout de sa vie' après avoir décroché le bronze ou Lisa Mamié être 'étonnée d’aller aussi vite', je ressens la même énergie qui nous habitait il y a 40 ans», affirme l’habitant de Saint-Aubin-Sauges. «Le groupe semble être heureux de vivre cette période ensemble.»

Le Tessinois Noé Ponti, recordman suisse du 50 m, 100 m et 200 m papillon, pourrait également tirer son épingle du jeu à Tokyo. Photo: Keystone

Le public, le souvenir marquant

D’ailleurs, craint-il d’être détrôné? «Honnêtement, ça m’ennuierait. Et je pèse mes mots!», rigole-t-il. «Même si j’ai arrêté le sport d’élite depuis plus de 30 ans, je reste un compétiteur. Mais je vous rassure: voir une ou un athlète suisse sur le podium me remplirait de bonheur.»

Du bonheur, Etienne Dagon espère que les nageurs suisses en auront, malgré le contexte quelque peu particulier de cette édition. «Il va manquer quelque chose, c’est évident», lâche-t-il, sans détour.

J’espère me tromper, mais je crains que cette génération ne soit qu’une vague.

Etienne Dagon, médaillé de bronze au JO de Los Angeles 1984

«Oui, les athlètes se rendent à Tokyo pour réaliser une performance sportive. Oui, ce qui se passe autour est secondaire», poursuit Etienne Dagon. «En attendant, mon souvenir le plus marquant reste de pénétrer dans ce stade plein à craquer.»

«Rendez-vous compte: 18 000 personnes dans une piscine à ciel ouvert», image l’ancien entraîneur du CN La Chaux-de-Fonds et vice-président du Red-Fish Neuchâtel. «On aurait dit que le monde entier s’y était donné rendez-vous. Ça chantait, ça hurlait… Ça te met dans l’ambiance. C’est un repère. Je me souviens m’être dit, à ce moment-là, 'Ok. C’est aujourd’hui que tu vas monter sur le plot'. A Tokyo, ce sera plus 'tristoune'»

Etienne Dagon s’était armé d’un classeur plein de coupures de journaux pour l’interview. Photo: Christian Galley

Une génération et puis c’est tout?

Et si médaille pour la Suisse il y avait, serait-ce le début d’une belle histoire? Ou le début de la fin? «J’espère que cette vague durera le plus longtemps possible», répond Etienne Dagon. «Mauvais jeu de mots mis à part, je crains que le bassin de nageurs en Suisse ne soit pas assez grand pour durer.»

En attendant, il faut vivre le moment présent, estime Etienne Dagon. «Les Jeux, avec ou sans public, sont uniques dans une vie. J’aimerais tellement pouvoir être avec nos athlètes afin de leur transmettre un maximum d’énergie et de conseils positifs.»

Avec peut-être, qui sait, au bout, la ou le successeur tant attendu.

Desplanches, Mamié, Mityukov: les successeurs du Neuchâtelois d’adoption Etienne Dagon?

Unique médaillé olympique suisse en natation, Etienne Dagon croit la nouvelle génération capable de lui succéder. Près de 40 ans après, il serait temps.