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Eclairage: «Pourquoi tant de plagiats impunis?»

Des universitaires nous éclairent sur des sujets d’actualité, de société, ou de recherche. Aujourd’hui, Alaric Kohler, professeur et chercheur en sciences de l’éducation à la Haute Ecole pédagogique Bejune évoque la publicité et sa tendance à plagier les grands auteurs.

18 mars 2019, 16:00
La publicité s'empare impunément du "Petit Prince" de Saint-Exupéry.

Vous aurez peut-être récemment vu une publicité exhibant une pomme ou du pain avec la phrase «L’essentiel est invisible pour les yeux», qui modifie à peine l’une des plus belles pensées d’Antoine de Saint-Exupéry: le secret du Renard, dans «Le petit Prince».

Or, cette reprise mot pour mot est faite sans même citer l’auteur… On peut se poser la question: comment se fait-il que les publicistes puissent plagier impunément, alors que dans d’autres domaines professionnels, c’est une faute qui conduit à des conséquences graves qui vont jusqu’à l’échec définitif à ses études?

Mais s’agit-il d’un simple problème de plagiat, c’est-à-dire d’un non-respect de la propriété intellectuelle? La défense de la propriété – en particulier pour des auteurs passés à la postérité – peut sembler bien futile, et plus orientée vers la défense d’intérêts personnels, voire financiers, qu’une préoccupation éthique importante.

Or, là n’est pas le problème. Cette belle phrase peut-elle encore avoir le sens profond qu’elle transmet dans l’œuvre de Saint-Exupéry quand on la découvre pour la première fois sur un panneau publicitaire? Le problème tient plutôt à un usage abusif, sans aucun respect pour l’auteur de cette pensée profonde.

Ce n’est pas seulement un abus de confiance, pour être un plagiat, mais aussi un abus de sens, une sorte de crime sémiotique: on tue à petit feu le sens que peuvent véhiculer le langage et les symboles. En effet, utiliser une telle pensée pour vendre donne au secret du Renard un sens tout autre…

J’interdis aux marchands de vanter trop leurs marchandises.
Antoine de Saint-Exupéry, dans «Citadelle»

Comble de cette histoire, Saint-Exupéry lui-même s’était révolté contre de tels usages abusifs de la publicité et de la propagande: «J’interdis aux marchands de vanter trop leurs marchandises. Car ils se font vite pédagogues et t’enseignent comme but ce qui n’est par essence qu’un moyen et, te trompant ainsi sur la route à suivre, les voilà bientôt qui te dégradent, car si leur musique est vulgaire ils te fabriquent pour te la vendre une âme vulgaire. Or, s’il est bon que les objets soient fondés pour servir les hommes il serait monstrueux que les hommes fussent fondés pour servir de poubelles aux objets.»

Jusqu’où laissera-t-on les uns abuser du langage, des bons mots écrits par d’autres – pour faire du chiffre – alors que d’autres (enseignant·e·s, parents, artistes) font des efforts parfois surhumains pour tenter d’insuffler aux nouvelles générations un peu de confiance au langage, le sens du mot juste, et l’intérêt d’une pensée nuancée qui respecte le sens de l’auteur·e et les richesses de la culture?

Quand toute l’activité humaine aura été réduite au mercantilisme, assimilée à l’économie, que restera-t-il donc de l’être humain?

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