Au Moyen Age comme de nos jours, l’identité culturelle se définit rarement de manière monolithique. La complexité et les nuances sont plutôt la règle, comme l’illustre l’émergence de l’Empire ottoman.
En 1396, le sultan Bajazet 1er écrase une armée de croisés français, hongrois et valaques devant Nicopolis, sur le Danube. En 1402, le même personnage est vaincu par Tamerlan et décède en captivité une année plus tard.
En Europe, Bajazet est décrit comme ambitieux et impitoyable mais chevaleresque et respectueux de sa propre religion. Bien que l’esprit de croisade souffle toujours, des princes «infidèles» sont parfois érigés en modèles devant faire honte à bien des chrétiens…
Du côté turc, par contre, Bajazet laisse la réputation d’un prince débauché, autoritaire et… mauvais musulman. Après sa mort, l’Empire plonge dans la guerre civile. Lorsque Mehmet 1er restaure l’autorité impériale, la question de la légitimation du pouvoir se pose. Les succès militaires des premiers sultans ne suffisent plus à assurer la cohésion de l’Empire. L’idéologie de la guerre sainte est appelée en renfort. Poètes de cour et chroniqueurs décrivent dès lors la dynastie ottomane comme portée, dès l’origine, par un islam militant. Ce qui est douteux historiquement parlant.
Les premiers Ottomans utilisent la rhétorique de la guerre sainte quand ils y trouvent avantage
Les Ottomans, étymologiquement les descendants d’Osman, font leurs premières armes comme alliés de Byzance. Comme les princes chrétiens du temps, les premiers Ottomans utilisent la rhétorique de la guerre sainte quand ils y trouvent avantage, mais dans la pratique, ils agissent avec souplesse.
Le rêve des sultans est plus impérial que strictement islamique. Byzance fascine autant en Orient qu’en Occident et les Ottomans n’échappent pas à la règle. Comme bien des princes occidentaux, Bajazet se rêve en nouvel Alexandre le Grand, dont il prétend être le descendant. Il possède un cycle de tapisserie à la gloire du Macédonien, héros des chrétiens comme des musulmans.
Un tel esprit cosmopolite ne s’arrête pas avec Bajazet. Après avoir pris Constantinople (1453), Mehmet II invite des artistes orientaux mais aussi italiens pour enrichir sa nouvelle capitale, destinée à rester, jusqu’à aujourd’hui, un pivot entre l’Europe et l’Asie.