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Eclairage: «La perfide Albion, l’ennemi héréditaire»

Des universitaires nous éclairent sur des sujets d’actualité, de société ou de recherche. Aujourd’hui, Adrien Wyssbrod, docteur en histoire des relations diplomatiques à l’Université de Cambridge, évoque les relations franco-britanniques à travers les âges et le Brexit.

29 janv. 2020, 14:00
Boris Johnson, premier ministre britannique, et Emmauel Macron, président de la France: entente cordiale?

Depuis près de mille ans, l’Angleterre et la France entretiennent des rapports conflictuels ponctués de fragiles périodes de détente. Leur fédération au sein de l’Union européenne en était une, elle se termine ce vendredi.

Il faut relever que cette alliance s’était nouée difficilement, pour ne pas dire contrainte et forcée.

Rapprochées par les deux conflits mondiaux, la France et l’Angleterre peinent à entrevoir un avenir commun. Une «mésentente cordiale» lie de Gaulle et Churchill, mais en 1967, le président français s’oppose à l’entrée de l’Angleterre dans la CEE. Le départ de de Gaulle en 1969 ouvre la voie à la Grande-Bretagne, qui rejoint enfin la CEE en 1973.

Sous des apparences aimables, la rivalité perdure pourtant et en 1994 ce rapport d’amour-haine donne lieu à une anecdote révélatrice. Avec pour but de lier la Grande-Bretagne au continent, le tunnel sous la manche est inauguré. Les Britanniques s’amusent toutefois du fait que l’Eurostar part de la gare internationale de Waterloo (nom donné pour commémorer la bataille décisive des alliés menés par l’Angleterre contre Napoléon en 1815). Les Français, pour leur part, relèvent que ce train arrive à Calais, lieu de la victoire décisive de la couronne de France sur l’Angleterre au terme d’un siège qui mit définitivement fin à leur présence sur le continent.

Il faut reconnaître que cette rivalité ne date pas d’hier. Guillaume le Conquérant envahit l’Angleterre en 1066. Il remplace l’élite anglo-saxonne par une cour normande. Cette cour parle le français et apporte ses mœurs. En 1128, sa petite fille, l’héritière du trône d’Angleterre, épouse le comte d’Anjou Geffroy V. Ce gage de paix entre la Normandie et l’Anjou place la maison Plantâgenets en Europe continentale. L’Angleterre devient l’ennemi privilégié et durable de la France. Le conflit avec les Capétiens dure une centaine d’années.

Définitivement, l’Angleterre est un ennemi, mais pas un simple ennemi. Il s’agit d’un adversaire avec lequel il est nécessaire de composer.

Il est suivi de la guerre de 100 ans (1337-1453) avec la défaite française à Azincourt. Henri V d’Angleterre conquiert tout le nord de la France qui sera repris par Charles VII et Jeanne d’Arc, boutant l’Anglais hors de France. Au milieu du XVe siècle. Tantôt alliés, tantôt ennemis, Henri VIII et François Ier entretiennent une relation ambivalente.

Définitivement, l’Angleterre est un ennemi, mais pas un simple ennemi. Il s’agit d’un adversaire avec lequel il est nécessaire de composer. L’Angleterre est l’adversaire que l’on ne peut éradiquer. L’Angleterre est l’allié avec lequel on ne peut pas pactiser. Elle sera l’ennemi héréditaire de la France. Les deux puissances s’opposent à nouveau lors de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714). Elles croisent le fer lors de la guerre de Sept Ans (1754-1763). Et naturellement, s’affrontent violemment lors des guerres napoléoniennes (1803-1815).

Le Brexit ouvre à nouveau une vieille plaie que l’UE devait définitivement guérir. L’Angleterre avait rejoint l’UE et embrassé les clauses économiques, mais rejeté l’Euro; elle s’apprête à tout quitter cette semaine. Il ne faut pas forcément y voir une crise institutionnelle, mais bien une interminable querelle entre les deux ennemis héréditaires.

La preuve en est que lors de la dernière demande de report du Brexit, l’Union européenne et les pays qui la composent sont prêts à accepter, mais Emmanuel Macron laisse planer le doute d’un refus. Le 7 novembre, il affirme même dans «The Economist» que l’UE pourrait disparaître, laissant entendre que le fait qu’elle «s’épuise avec le Brexit» n’y serait pas étranger. «The Spectator» relève toutefois le 25 janvier que Boris Johnson et Emmanuel Macron s’entendraient à merveille, même si tous les opposent. Le tabloïd va jusqu’à titrer «Le bromance» (1) au-dessus d’une caricature montrant le président français serrant dans ses bras son homologue anglais qui lui tourne le dos.

Le même jour, Emmanuel Macron exige pourtant un accès aux eaux britanniques durant 25 ans pour les pêcheurs européens, condition à tout accord commercial futur. Les négociations à venir sur les relations entre la Grande-Bretagne et la France s’annoncent houleuses. Angela Merkel pour sa part, se contente de relever diplomatiquement qu’une fois le Brexit acté, l’UE aura à sa porte un concurrent.

Ce vendredi, l’Angleterre quitte l’UE avec un deal amer, obtenu de haute de lutte. L’UE devra se reconstruire, mais l’histoire retiendra probablement de cet événement qu’il ne s’agit que d’un nouvel épisode d’une rivalité franco-anglaise vieille de bientôt mille ans.

Note

1. Conjonction de brother et romance, utilisée pour définir une romance entre deux amis.

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